Intervention de Jean-Claude Duplessy

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

Jean-Claude Duplessy, président de la Commission nationale d'évaluation (CNE) :

Ce n'est pas à vous, bien entendu, que je vais expliquer ce qu'est la commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs. Vous en avez été l'un des créateurs. La CNE, je le rappelle, n'est pas un acteur de la loi. Nous ne sommes pas des promoteurs de quoi que ce soit. Notre travail est de réaliser une évaluation scientifique des activités de recherche, d'étude, des acteurs de la loi, préférentiellement le CEA et l'ANDRA, mais aussi tous les organismes qui travaillent avec eux, en particulier les universitaires, le CNRS, mais aussi EDF et AREVA.

Je vais vous présenter le résultat des auditions des années 2010-2011, lors desquelles nous avons écouté, à l'occasion d'une vingtaine d'auditions, les acteurs de la loi. Il ne s'agit pas de faire table rase, étant entendu qu'on disposait d'acquis de vingt ans de recherche dans le cadre de la loi de 1991, qui s'est achevée en 2005, et de la loi de 2006, actuellement en cours.

S'agissant de la partie séparation, toutes les recherches menées au cours de ces vingt dernières années ont démontré la faisabilité scientifique et technique de la séparation. Les travaux menés au CEA, souvent en collaboration avec des équipes universitaires, ont permis de mettre au point des molécules capables de résister à la radiolyse, d'autre part d'extraire sélectivement l'uranium, le plutonium, le neptunium, l'américium et le curium. On dispose de tout un lego qui permet de séparer ces éléments unitairement, ou le plutonium d'un côté et tous les actinides mineurs ensembles. Toute la panoplie est disponible.

S'agissant de la transmutation, par contre, on est bien moins en avance. Les irradiations qui ont été effectuées dans Phénix ont prouvé la faisabilité scientifique de la transmutation. Cela dit, nous n'en sommes pas arrivés au stade industriel. Reste à démontrer qu'une stratégie de transmutation et multirecyclage des actinides - plutonium et actinides mineurs - est possible à l'échelle industrielle pour produire de l'électricité, économiser la ressource en uranium en utilisant un combustible à base de Plutonium et d'Uranium 238, et transmuter, en fonction des besoins, tout ou partie des actinides mineurs.

Notre analyse peut s'apprécier en se focalisant sur deux aspects : minimiser les déchets, objectifs des lois de 1991 et de 2006, et économiser la ressource, dans la mesure où nous sommes dans un monde où l'économie ne doit pas être oubliée. S'agissant des ressources, les REP utilisent la fission de l'uranium 235 qui représente moins de 1% du minerai. Par ailleurs, ils produisent des actinides dont le plutonium, de l'ordre de 10 tonnes par an pour le parc français actuel. Point important : les REP ne sont pas capables de multirecycler les actinides. Le combustible Mox - mélange d'oxydes d'uranium et de Plutonium - n'est utilisable qu'une fois en REP en raison de la dégradation de la composition isotopique du Plutonium au fur et à mesure du temps.

S'agissant des déchets, le stockage des déchets du parc actuel ne prend pas en compte le plutonium, considéré comme une ressource. Il prévoit de stocker en couche géologique profonde les produits de fission et les actinides mineurs bloqués dans des verres.

Dans le futur, si l'on ne veut pas mettre aux déchets les combustibles usés et tous les actinides, il faut envisager de transmuter les actinides dans des RNR, soit par un scénario à double strate découplant la production d'électricité de la transmutation des actinides produits - ce sera l'objet de l'exposé de M. Hamid Aït Abderrahim - soit en faisant appel à un parc de RNR électrogènes, capables de multirecycler le plutonium et les actinides mineurs.

Minimiser les déchets et économiser la ressource avec des RNR ? Les RNR peuvent utiliser le plutonium comme élément fissile sur support d'uranium 238. Il reste à démontrer leur capacité à être alimentés par leurs propres actinides pour fabriquer un cycle fermé. Le plutonium deviendrait la matière fissile et les actinides mineurs seraient transmutés à leur tour pour stabiliser leur quantité dans le cycle. Cette dimension de stabilisation, j'y reviendrai, est essentielle.

La réalisation d'un tel cycle fermé permettrait de s'affranchir de l'industrie minière et de ses déchets. En outre, elle assurerait une indépendance énergétique de la France sur le très long terme.

Cela dit, de nombreuses études doivent être conduites. On a d'abord besoin d'un exemplaire de réacteur à neutron rapide. Le prototype Astrid, RNR de quatrième génération, est destiné à démontrer la faisabilité du multirecyclage de tous les actinides. La CNE, depuis plusieurs années, considère sa construction, prévue par la loi de 2006, comme indispensable à la recherche française.

Par ailleurs, ce prototype devra être associé à un pilote de retraitement permettant de tester les performances d'une chaîne complète de retraitement intégrant la séparation des actinides et la fabrication d'un nouveau combustible. Il doit également servir à démontrer que les actinides mineurs que l'on souhaitera transmuter, pourront subir un traitement adéquat pour leur conditionnement et leur transmutation.

J'en viens à la stabilisation des quantités d'actinides dans le cycle, dans le cadre d'une stratégie de séparation-transmutation (ST). Tout système transmuteur consomme du plutonium et des actinides mineurs en même temps qu'il en produit. Par conséquent, quelle que soit la technologie mise en oeuvre, la transmutation sera un processus lent. Il faudra plusieurs dizaines d'années pour stabiliser l'inventaire en plutonium et en actinides mineurs dans le cycle. Mais cette stabilisation est possible avec des RNR.

Le raisonnement s'applique à tous les actinides : le plutonium et les actinides mineurs. Il ne faut cependant pas oublier que le plutonium représente environ 90% des actinides du combustible usé. Du coup, l'option de la transmutation des actinides mineurs pour optimiser le bilan radiotoxique des déchets n'a de sens que si l'on envisage d'abord de gérer le plutonium, dont les quantités sont dix fois plus importantes que celles des actinides mineurs.

Que montre une comparaison de trois parcs de 430 térawattheures annuels ? Avec les REP, on se retrouve en 2150 avec 1 900 tonnes de plutonium accumulé, étant entendu qu'on continuera à avoir besoin de mines d'uranium, d'enrichissement et de retraitement. Les déchets seront constitués de plutonium, l'uranium appauvri et les résidus miniers. En passant à une stratégie REP, utilisant le recyclage dans les mox, en 2150, ce seront 1 300 tonnes de plutonium qui se seront accumulés. Mêmes problèmes pour l'approvisionnement en uranium - mêmes types de déchets. Avec les RNR, ce ne seront plus que 900 tonnes de plutonium qui seront, en 2150, recyclés en permanence, soit dans les réacteurs eux-mêmes, soit dans les usines de retraitement. Il faudrait 50 tonnes d'uranium appauvri par an, pour fournir l'uranium 238. En France, il faut savoir que nous en disposons de plus de 200 000 tonnes, et dont on sera heureux de se débarrasser car ne rien en faire en fait un déchet. En termes de déchets, il faudra gérer la fin de cycle, en utilisant par exemple les réacteurs ADS (accelerator driven system) dont le projet Myrrha sera une illustration.

Cela dit, La stratégie S-T n'a de sens qu'appliquée d'abord au plutonium, qui représente 90 % des actinides. Elle repose sur une vision à très long terme d'une production d'électricité nucléaire : la transmutation est un processus lent et il faut du temps pour en tirer le plein bénéfice.

Au plan de la recherche, il est absolument impératif de disposer d'Astrid au plus près des délais impartis. La démonstration de la stratégie S-T ne peut être conduite que si un pilote de retraitement est associé à Astrid. Il faut être conscient que le pilote est indispensable pour réaliser des tests, motiver la communauté scientifique, et faire en sorte que l'expérience et tout l'acquis des recherches depuis une cinquantaine d'années ne soit pas perdu. Les gens vieillissent, partent en retraite. Et c'est un fait que les gens qui ont de l'expérience deviennent de plus en plus rares. Si on ne les motive pas, nous n'aurons pas de jeunes pour prendre le relai et être encadrés par des gens compétents.

Un programme de recherches ambitieux est nécessaire pour apporter à ce nouveau RNR toutes les innovations indispensables. La logique de la recherche doit ici être dissociée de la logique industrielle, qui vise à vérifier au plus vite que le prototype pourra fournir de l'électricité avec les meilleurs rendements. La recherche a ses exigences. L'enjeu pour la France est de conserver son avance scientifique et technologique dans la maîtrise du cycle du combustible en assurant maintenant sa fermeture, ce que l'EPR ne permet pas.

En termes de déchets, la stratégie S-T ne concerne pas les déchets du parc actuel qui sont vitrifiés et prévus pour le stockage géologique profond. Appliquée aux réacteurs à venir, elle minimise les déchets et réduit leur radio-toxicité, mais ne les supprime pas. Il y aura toujours des radio-éléments à vie longue à mettre en stockage géologique profond : produits de fission, actinides mineurs qui ne pourraient être transmutés industriellement, pertes en cours de traitement chimique. Elle aura néanmoins un impact sur le futur stockage des déchets en réduisant son emprise, la thermique et les volumes excavés.

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