Intervention de Hamid Aït Abderrahim

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

Hamid Aït Abderrahim, directeur général adjoint du SCK-CEN (centre de recherche nucléaire de Belgique) et directeur du projet MYRRHA :

Le projet MYRRHA est une grande infrastructure de recherche que la Belgique veut développer dans un contexte européen, qui concerne les technologies du nucléaire du futur à spectre rapide et la problématique des déchets nucléaires.

Si l'on veut que le nucléaire soit présent dans le futur, il doit répondre au problème des déchets nucléaires. Ainsi, on ne parvient pas à faire accepter la décision sur le stockage géologique, même si des solutions techniquement acceptables existent. Sur le long terme, la gestion de la ressource est importante, comme l'amélioration de la sûreté et du risque de prolifération, point sur lequel je ne m'attarderai pas.

Sur le plan international, l'Agence internationale de l'énergie affirme qu'il faut, pour le nucléaire du futur, investir avant tout dans la R&D. Le nucléaire du futur, ce sont les réacteurs rapides et la fermeture du cycle du combustible. Par ailleurs, ce développement ne doit pas se faire seulement au niveau de la R&D, sans impliquer les industriels avec nous dès le départ. Il ne faut pas inventer des solutions qui n'intéressent pas le déploiement industriel.

Cela dit, le dossier MYRRHA a été sélectionné en 2010 par l'Union européenne sur la liste ESFRI (European Strategy Forum on Research Infrastructures), relative aux grandes infrastructures de recherche que l'Europe doit développer. Il est également repris sur le plan de l'énergie dans la plate-forme technologique SNETP. De notre côté, on estime qu'on a besoin en Europe occidentale avant toute chose de réacteurs de recherche à spectre rapide pour effectuer tout le développement dont on a besoin, tant un outil expérimental à spectre rapide et flexible est un besoin primordial. Aujourd'hui, on ne dispose que d'une seule infrastructure en fonctionnement dans le monde, en Russie.

S'agissant de la problématique des déchets, que voulons-nous faire avec MYRRHA ? Nous voulons une démonstration de l'utilité du concept ADS dans une logique à double strate, qui retraiterait les déchets nucléaires en dehors du circuit de production d'électricité. La décision n'est pas seulement technique, mais aussi économique. Pour pouvoir répondre à cette question, nous pensons qu'il est absolument nécessaire de faire une démonstration à une échelle qui puisse permettre la projection à l'échelle industrielle. C'est la raison pour laquelle nous visons autour de 100 mégawatts thermiques pour le réacteur sous-critique, avec un accélérateur qui aura toute les caractéristiques nécessaires pour pouvoir projeter la machine industrielle.

Dans les filières à spectre rapide, la référence est le sodium. C'est le cas pour notre plate-forme technologique SNETP et dans l'initiative industrielle à laquelle nous sommes associés avec nos collègues du CEA. ASTRID est le prototype industriel le plus avancé. Comme il ne faut jamais mettre ses oeufs dans le même panier, nous avons voulu travailler sur des technologies dites de backup, comme le gaz à spectre rapide et le plomb, ou plomb bismuth. MYRRHA pourrait jouer le rôle d'un prototype technologique pour la filière au plomb. La contribution à la démonstration du plomb pourrait être faite grâce à MYRRHA qui est conçue pour pouvoir fonctionner de façon critique ou sous-critique. Pour pouvoir travailler sur une filière à industrialiser, il faudrait crédibiliser la filière.

C'est la raison pour laquelle un de nos objectifs est de démontrer que le plomb est une alternative crédible à la filière sodium. M. Béhar a mis en avant la rareté du bismuth, qui justifierait de passer à la filière plomb. La démonstration technologique au plomb bismuth nous permet de le faire plus rapidement, compte tenu des températures de fonctionnement du caloporteur. La température de fusion y est de 123 °, à comparer à 370 ° pour le plomb pur. La température d'ébullition du caloporteur est de 1 700°. La marge par rapport à la sûreté intrinsèque pour la chaleur résiduelle est encore plus grande dans le cas du plomb. Les problèmes de corrosion doivent naturellement être maîtrisés.

MYRRHA a été conçu pour être une machine d'irradiation qui remplacerait notre grand réacteur de recherche BR2. Comme nous ne voulons pas reproduire ce qu'on a fait chez nous en 1962, nous entendons construire quelque chose d'utile à l'international, raison pour laquelle nous avons choisi un spectre rapide expérimental, qui aura la même flexibilité que le BR2, mais qui élargira le portefeuille de recherche que nous faisons dans notre réacteur.

Ce projet a été régulièrement soumis à une évaluation internationale. Notre gouvernement a pris la décision en 2010, après avoir demandé une évaluation indépendante à l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE. La conclusion est que MYRRHA pouvait répondre au cahier des charges qu'on s'était donné. Néanmoins, ce comité a aussi fait certaines remarques, sur l'attention à porter à certains risques technologiques présents dans notre projet. MYRRHA est un réacteur sous-critique de 100 mégawatts, piloté par un accélérateur linéaire délivrant 600 MeV d'énergie et 4 mA de courant. C'est un accélérateur très puissant, qu'on trouve dans d'autres pays. Ce sont des technologies, il faut le souligner, où les meilleurs sont des Européens, et je pense à nos collègues du CEA ou de l'IN2P3. Il faut bien être conscient que nous avons des champions en Europe, message que l'on veut faire passer auprès des politiques. Nous avons les compétences dans tous les différents domaines de technologie. Ne nous laissons pas dépasser par les Chinois, les Indiens ou d'autres. Nous avons les billes en mains pour être les premiers de la classe.

MYRRHA doit répondre à un certain nombre de défis, pour la fission, la fusion, la recherche fondamentale, les énergies renouvelables, en produisant du silicium dopé, ou pour la santé, en faisant des radio-isotopes.

Pour tous ces défis, MYRRHA peut apporter une partie de la solution. Quel calendrier ? Nous sommes dans la phase 2010-2014. Suite à l'évaluation de l'OCDE, le gouvernement belge a pris la décision de financer MYRRHA à hauteur de 40 %. Nous devons assurer le complément à l'international. Il nous a accordé un premier budget pour cette période de 60 millions d'euros pour répondre au défi de la minimisation des risques technologiques, que ce soit pour l'accélérateur ou le coeur sous-critique. Il faut par ailleurs garantir que cette machine sera autorisée par l'autorité de sûreté, donc obtenir un premier avis positif pour 2014. Enfin, nous devons sécuriser une gestion du projet de façon performante et garantir que le consortium sera établi pour 2014.

D'aucuns estiment qu'il s'agit d'un gros projet pour un petit pays. Ce n'est pourtant que 32 M€ par an à dépenser, la Belgique dépensant 1,1 milliard d'euros par an pour sa compagnie ferroviaire. Comment imaginons-nous le consortium pour la première phase de construction ? Aujourd'hui, la Belgique est le premier investisseur. Nous voulons garder une dimension européenne au projet, raison pour laquelle nous visons une participation à hauteur de 30 % de l'Europe, entre les pays membres et la Commission européenne. Nous regardons vers l'Asie, la participation étant limitée à 20 %, pour conserver sa dimension européenne au projet. Nous sommes en négociation avec d'autres pays, comme le Japon, les États-Unis ou le Kazakhstan.

Une fois construite, cette machine sera une grande infrastructure ouverte, qui comprendra des programmes exécutés pour les membres du consortium, où l'information sera limitée, mais partagée entre les membres. L'information sera ouverte pour 25 % des travaux réalisés, étant entendu qu'une partie sera assurée par des financements européens. Il y aura également une information partagée sur des projets de recherche collaborative, entre des partenaires finançant cette recherche. Enfin, une partie sera purement commerciale et industrielle, les résultats étant réservés à ceux qui auront payé la recherche.

L'avantage de figurer dans les pays qui auront participé à l'investissement est qu'ils auront le droit de définir le programme de recherche, la part des quatre types d'activités, et, dans l'hypothèse où l'on ferait un revenu commercial supérieur, un droit de tirage qui sera moins coûteux.

Le réseau de participation dans le projet MYRRHA est assez large, impliquant des industriels et centres de recherche européens et un important réseau d'universités. N'oublions pas que nous avons besoin d'une nouvelle génération de chercheurs et d'ingénieurs disposant de compétences dans le domaine nucléaire. Nous avons donc établi, dès le départ, un grand réseau de collaboration avec les universités. Au-delà de l'Europe, nous sommes en discussion avec des institutions en Corée, au Japon, aux États-Unis, en Chine, et au Kazakhstan.

Le gouvernement belge a clairement annoncé qu'il ouvrait le projet à la collaboration internationale. Une participation au projet en nature ou bien financière est attendue. Jusqu'à fin 2014, notre objectif est de collecter des lettres d'intention. Nous avons signé des protocoles d'accords avec différents partenaires de recherche, sachant très bien que les pays s'appuieront sur des acteurs nationaux qui feront des contributions en nature vers certaines grandes infrastructures. Notre objectif est donc d'avoir ces lettres d'intention pour finaliser le cadre légal que nous proposerons à cette grande infrastructure de recherche fin 2014.

Cette technologie du nucléaire du futur se fera dans une collaboration internationale. En matière de séparation et transmutation, nous avons besoin de plusieurs briques, d'un atelier de retraitement avancé et d'un transmuteur dédié. Tous les développements en cours sont des éléments de recherche qui définiront la filière d'industrialisation. Ce faisant, la Belgique apporte sa pierre à l'édifice de la technologie en proposant un tel projet à la communauté internationale, plus particulièrement à la communauté nucléaire de l'Europe.

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