Intervention de Pascal Garin

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Sécurité nucléaire et avenir de la filière nucléaire

Pascal Garin :

Je présenterai le projet ITER et les projets qui sont associés aux recherches menées actuellement à l'échelon international dans le domaine de la fusion.

La fusion est une énergie nucléaire, au même titre que la fission, dont les technologies et les moyens de production sont radicalement différents. Il ne s'agit pas de casser des noyaux, mais de fusionner des noyaux légers, en l'occurrence de l'hydrogène et ses deux isotopes, de façon à générer de l'énergie par défaut de masse.

Cette énergie est particulièrement concentrée dans la fusion, dans la mesure où l'énergie qui lie les particules qui constituent le noyau est très importante pour les noyaux légers. L'énergie que l'on dégage en fusionnant ces noyaux est beaucoup plus importante que celle qu'on récupère pour un même noyau, par exemple en cassant de l'uranium ou du thorium.

Il existe plusieurs manières de produire de la fusion. Les étoiles nous le montrent, par leur masse énorme et la compression gravitationnelle qui en résulte, qui permet d'atteindre des températures très élevées. Aussi produisent-elles naturellement de l'énergie par la fusion des noyaux en leur coeur.

Ce ne sont bien évidemment pas des méthodes utilisables sur Terre, dans la mesure où les distances nécessaires sont inatteignables. Il existe deux technologies complémentaires ou concurrentes. La première est mise en oeuvre dans deux installations, l'une aux États-Unis, la National Facility, et l'autre au sud de Bordeaux, le Laser Mégajoule (LMJ). Elle consiste à fusionner une petite bille de matériau en la compressant par des faisceaux lasers de très grande intensité, pendant des temps très courts.

Mais je parlerai d'une autre technologie, le confinement magnétique, qui tend à isoler le gaz très chaud qu'on a besoin de créer au sein d'un champ magnétique très intense, qui permet d'isoler thermiquement ce gaz porté à des températures de plus de 100 millions de degrés pour l'entourer. Ces technologies sont complexes, mais présentent des avantages très intéressants à long terme, dans la mesure où le combustible utilisé pour la fusion est essentiellement de l'eau et du lithium. Pas plus de 45 litres d'eau, soit la moitié d'une baignoire, associé au lithium d'une batterie d'ordinateur portable, vous permet d'assurer la fourniture en électricité pour une trentaine d'années d'un citoyen européen. C'est donc une concentration très importante d'énergie, grâce aux propriétés de la matière.

La deuxième caractéristique, et la raison pour laquelle la fusion est considérée comme une option intéressante à long terme, est le fait que peu de déchets sont générés par la filière fusion, et pas de déchets à haute intensité.

La troisième caractéristique, importante dans les temps que nous traversons, est la sûreté intrinsèque, à savoir qu'il n'y a pas de chaleur résiduelle dans un réacteur de fusion, dans la mesure où la quantité de combustible présent dans le réacteur est de quelques grammes. Une des difficultés qu'on rencontre dans ces machines est qu'il faut porter à haute température et maintenir la réaction, démarche compliquée. Les réacteurs de fusion ne génèrent pas de gaz à effet de serre, de par l'absence de brulage de matériaux produisant du CO2.

Cela dit, la stratégie de développement de la fusion est une stratégie à très long terme, différenciée selon les partenaires mondiaux. Pour l'Europe et le Japon, qui possèdent peu ou pas de ressources naturelles, l'accent est essentiellement porté sur la production d'énergie. L'application des recherches qui sont menées sur la fusion par ces deux partenaires concerne clairement la génération d'énergie le plus rapidement possible. Ce n'est pas le cas des États-Unis qui, disposant de ressources naturelles sur leur territoire, ont plutôt axé les recherches sur la fusion vers la science. Même s'ils contribuent au projet ITER, leurs propres recherches s'intéressent essentiellement à la physique des plasmas.

ITER est la première étape de ces recherches et constitue la démonstration scientifique visée par cette installation internationale. L'objectif principal est de démontrer qu'on peut générer de l'énergie de fusion à une puissance significative, de l'ordre de 500 mégawatts thermiques sur des durées significatives, qui se chiffrent en des milliers de secondes. La communauté scientifique estime qu'il s'agit de la première étape à franchir, dans la mesure où il faut être capable de démontrer qu'on sait maîtriser ce gaz très chaud, qu'il faut stabiliser. Il faut également échanger la chaleur générée par les réactions de fusion au travers des éléments matériels qui entourent le plasma. C'est l'objectif principal de cette installation, qui est d'en faire la démonstration scientifique.

La deuxième étape, prévue après la construction d'ITER, qu'on a appelé Démo, est la réalisation d'un démonstrateur technologique, qui vise à intégrer dans cette machine la totalité des technologies nécessaires pour faire de l'électricité. Si ITER ne produira pas d'électricité, Démo en produira, de façon non fiable, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une machine industrielle. Ce démonstrateur devrait intégrer des matériaux qui résistent à des flux neutroniques intenses, dans la mesure où les neutrons produits par réaction de fusion sont de 14 MeV, et dégagent une énergie beaucoup plus importante que celle produite par les réactions de fission. Il est donc important de vérifier qu'on est capable de construire une machine qui résiste à ces flux de neutrons, ainsi qu'aux charges thermiques générées par les réactions de fusion et dans son échange avec les parois matérielles.

Autre aspect important dans Démo : le cycle du combustible. La fusion utilise essentiellement du deutérium, qui est un des isotopes de l'hydrogène, et du lithium comme combustible primaire. Il faut bien s'assurer que ces deux combustibles associés dans le cycle interne de la machine, peuvent générer du tritium, élément temporaire utilisé dans les réactions de fusion. Ce cycle ne sera que partiellement vérifié dans ITER. Démo devrait donc être une machine qui permette de faire cette démonstration. Il sera logiquement suivi d'une filière industrielle, avec des prototypes.

Il s'agit d'un effort long dans le temps, reproche souvent fait à la fusion. Aussi me garderai-je bien de faire la moindre prospective temporelle quant aux échéances de cette filière qui peuvent varier considérablement suivant les efforts financiers qu'on consentira.

J'en viens à ITER, qui est une machine en construction à Cadarache. Elle regroupe sept partenaires internationaux, dont le principal est l'Europe et, au sein de l'Europe, la France. Sont associés les États-Unis d'Amérique, le Japon, la Russie et, plus récemment, la Corée du Sud, la Chine et l'Inde. Ces sept partenaires, qui représentent plus de la moitié de la population mondiale, ont considéré que mettre ensemble leurs efforts permettrait la construction d'une machine intéressante au plan scientifique et technologique, dans un délai raisonnable, avec des ambitions financières partagées.

A contrario, ce partenariat et l'organisation mise en place sont assez compliqués. Suite au traité signé à l'Élysée en décembre 2006, une organisation internationale a été mise en place, dont le siège social est basé à Cadarache. Elle définit la machine, le programme expérimental et le mettra en oeuvre. La fourniture des composants de la machine se fait par des agences domestiques, qui sont des agences de fourniture de composants, suivant les spécifications définies par l'organisation internationale.

L'agence européenne, Fusion for Energy, basée à Barcelone, a en charge les cinq onzièmes des contributions du projet, sur la base des spécifications émises par l'organisation internationale. La France a un statut un peu particulier, dans la mesure où elle est le pays hôte de l'organisation internationale, ce qui lui impose certains devoirs. C'est aussi un financeur important, le gouvernement français ayant accepté de contribuer à hauteur de 20 % des engagements européens, soit une somme d'argent considérable. La France a eu pour responsabilité de préparer le site, de le viabiliser, de mettre à disposition une école internationale pour les enfants des ressortissants étrangers, hébergés dans la région PACA, et de finaliser un itinéraire pour des charges très lourdes nécessaire pour la construction de la machine. La France, grâce à un accord trouvé entre les collectivités locales, l'État et le CEA, assure le rôle de l'agence pour la mise en oeuvre de ses engagements, en étroite relation avec l'Agence européenne et l'organisation internationale.

Je souhaite terminer mon exposé par un autre accord, dont on parle peu, mais qui est important pour les recherches sur la fusion. Je veux parler de l'accord « Approche élargie ». Cet accord résulte du choix de Cadarache comme site pour ITER. Il permet au Japon, qui était le principal concurrent pour héberger ce projet, d'équilibrer les recherches menées autour d'ITER, et qui visent cette première étape que j'ai décrite, et l'étape Démo. Cet accord de l'approche élargie - de nombreuses recherches sont menées sur le territoire japonais - prépare cette étape technologie, par trois projets. Le premier est un projet d'accélérateur pour irradier une cible lithium et générer des neutrons de 14 Mev. C'est un projet complémentaire à celui qui vient d'être présenté, et qui permettrait de disposer d'une source de neutrons pour irradiation particulièrement bien adaptée à la fusion, mais qui pourrait aussi être intéressante pour les recherches sur les matériaux pour les réacteurs à neutrons rapides. Il s'agit de construire un accélérateur, qui doit délivrer un faisceau de deutéron de 125mA en continu, intensité considérable s'il en est, qui n'a jamais été obtenue jusqu'à présent dans les accélérateurs mondiaux.

Le deuxième projet, également situé à Rokkasho, en cours de finalisation, est la construction d'un ensemble de moyens, dont un super calculateur, fourni par la France, qui fournira 1,3 pétaflops de capacité de calcul, associé à un laboratoire.

Le troisième projet, situé à Naka, est une machine japonaise, à laquelle l'Europe contribue de façon très importante, pour servir de complément à ITER et préparer les générations d'expérimentateurs et de physiciens à l'expérimentation d'ITER qui doit démarrer en 2019. La catastrophe de Fukushima a cependant conduit, de par la réduction de capacités de production électrique et plusieurs déconvenues chez les industriels japonais, à retarder la livraison de composants importants. Les premières expériences qui montreront la capacité d'ITER à fournir de l'énergie auront lieu aux alentours de 2027.

Ces trois étapes sont importantes pour la filière fusion. La démonstration scientifique avec ITER est en cours de construction. La démonstration technologique se fera avec un réacteur Démo, pour le milieu du siècle. La filière industrielle, elle, devrait voir le jour vers la deuxième moitié de ce siècle. Il s'agit d'activités à long terme, dont les enjeux justifient pleinement les efforts financiers et scientifiques, pour mettre à la disposition de l'humanité cette source d'énergie.

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