Le sujet d'étude que la commission des affaires sociales a confié à la Cour est ancré dans une réalité historique remontant à l'annexion par l'Empire allemand des trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : le régime a ainsi été créé en 1884, maintenu en 1918 et en 1946, malgré l'adoption des ordonnances sur la sécurité sociale, pérennisé en 1991, malgré les difficultés financières, et rendu autonome en 1994.
En outre, il est d'une réelle actualité, tant juridique que financière. Le Conseil constitutionnel s'est prononcé pour la première fois cet été, par sa décision du 5 août 2011, sur les particularités du droit local alsacien-mosellan à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le travail du dimanche dans les départements de l'Alsace et de la Moselle. A cette occasion, le Conseil a dégagé un nouveau principe fondamental reconnu par les lois de la République s'agissant du droit local antérieur à la Constitution de 1946. Par ailleurs, le conseil d'administration du régime local d'assurance maladie en Alsace Moselle vient de décider, le 28 novembre dernier, de diminuer le taux des cotisations de 0,1 point. Celui-ci passe ainsi de 1,6 % à 1,5 % grâce à une situation financière favorable et à l'accumulation des excédents passés.
Le régime local d'Alsace-Moselle est un système de couverture du risque santé tout à fait unique en France. Il s'agit en effet d'un régime complémentaire mais obligatoire qui intervient au-delà de la prise en charge du régime général de base et avant intervention éventuelle des organismes complémentaires facultatifs. Nous sommes devant un exemple d'assurance maladie à trois étages : la base obligatoire, la complémentaire obligatoire et la complémentaire facultative. Quand on parle de régime local équilibré, on ne parle donc que de ce deuxième étage de protection sociale et non de l'assurance maladie de base qui reste le régime général.
Il existe en réalité deux régimes locaux : l'un pour les assurés du régime général qui y sont éligibles et l'autre pour les salariés agricoles, la MSA d'Alsace-Moselle ayant un système similaire d'assurance maladie complémentaire obligatoire. Les salariés agricoles concernés sont très minoritaires par rapport aux bénéficiaires du régime général. L'étude de la Cour se concentre donc sur le régime local des assurés du régime général mais les enjeux et les modes d'organisation sont comparables.
Les bénéficiaires du régime local sont d'une part, les salariés du secteur privé et les contractuels de droit public travaillant dans l'un des trois départements, d'autre part les titulaires de revenus de remplacement ayant suffisamment cotisé au régime local, enfin, les titulaires d'une pension de retraite ayant également suffisamment cotisé au régime. Les fonctionnaires des trois fonctions publiques, les travailleurs indépendants et les salariés des régimes spéciaux ne bénéficient pas de ce régime complémentaire obligatoire.
Au total, le régime compte 2,1 millions de bénéficiaires, y compris les ayants droits. Les statistiques des bénéficiaires mériteraient toutefois d'être mieux étudiées car il existe des divergences notables entre les chiffres fournis par la Cnam et ceux du régime local ; c'est une des recommandations de la Cour. Par ailleurs, environ 146 000 bénéficiaires ne résident pas dans l'un des trois départements mais sont affiliés au régime parce qu'ils sont salariés d'une entreprise qui y a son siège social.
Les prestations sont toujours complémentaires à celles servies par le régime de base de la sécurité sociale et dans la limite du tarif conventionnel. Le régime local ne prend donc pas en charge les dépassements d'honoraires. Il complète les remboursements au titre de l'hospitalisation jusqu'à 100 % du tarif de la sécurité sociale et prend en charge le forfait journalier hospitalier. Pour les soins ambulatoires (consultations, médicaments...), le principe de base est celui d'une prise en charge complémentaire jusqu'à 90 % du tarif de la sécurité sociale pour laisser un ticket modérateur résiduel de 10 % à l'assuré. Le régime local a toutefois décidé en 2005 de déroger à ce principe pour rembourser moins ou pas du tout les médicaments dont le service médical rendu n'était pas suffisant : pour ceux à vignette orange, il n'y a pas de prise en charge par le régime local, et pour ceux à vignette bleue, le ticket modérateur résiduel s'élève à 20 % pour l'assuré.
Le régime local est financé par une cotisation de 1,6 % (1,5 % à compter du 1er janvier 2012) due uniquement par le salarié ou l'ancien salarié, sur la totalité de son salaire ou de son revenu de remplacement ; contrairement aux autres cotisations sociales, il n'existe pas de part versée par l'employeur. La prise en compte de l'ensemble du salaire ou du revenu dans l'assiette de cotisation date seulement de 1985 ; ce n'est pas un principe d'origine. Des exonérations sont prévues, sur le même modèle que la CSG, pour les retraités et les chômeurs non imposables ; en pratique, environ la moitié des retraités est exonérée.
Ce mode de financement est une caractéristique forte de ce régime, très différent de celui applicable aux complémentaires facultatives. Il se révèle très solidaire grâce à des cotisations déplafonnées et à des exonérations sur les retraités les plus modestes. Par comparaison, les tarifs des organismes complémentaires facultatifs sont le plus souvent forfaitaires et croissants avec l'âge de l'assuré. Le régime assure donc un double effet de redistribution, financier et générationnel.
Le régime est autonome depuis 1994 et géré par un conseil d'administration composé quasi exclusivement de représentants d'organisations syndicales de salariés. On peut noter que ce conseil, qui dispose de compétences larges en termes de niveau de prestations servies et de fixation du taux de cotisation, dans une fourchette fixée par décret entre 0,75 % et 2,5 %, joue pleinement son rôle de décision et d'animation de la vie du régime.
Au quotidien, le régime s'appuie très fortement sur les caisses de base du régime général ; les prestations et les cotisations sont en effet gérées par elles : les caisses primaires d'assurance maladie du régime général servent les prestations complémentaires obligatoires du régime local et les Urssaf recouvrent les cotisations correspondantes sur les revenus d'activité.
De ce fait, le coût de fonctionnement du régime, qui n'emploie que très peu de personnel en propre (5,2 agents équivalents temps plein), apparaît aujourd'hui réduit : environ 4 millions d'euros, soit moins d'1 % des prestations servies, qui sont principalement constitués d'un remboursement forfaitaire de 0,5 % du niveau des prestations à la Cnam et de 0,5 % de celui des cotisations à l'Acoss. Cette facturation forfaitaire ne permet pas de mesurer le coût réel de gestion du régime : si une comptabilité analytique était mise en place, il serait certainement plus élevé mais resterait à un niveau faible.
Après cette présentation des conditions de fonctionnement du régime local, deux questions se posent : les raisons de son équilibre financier et les enseignements à tirer sur le plan national.
Deux précisions préalables sont nécessaires.
Tout d'abord, l'équilibre du régime complémentaire obligatoire d'assurance maladie ne reflète pas une situation analogue sur le régime de base. Il n'est pas possible d'établir un compte régional du régime général mais il n'y a aucune raison objective pour que l'Alsace-Moselle soit dans une situation plus favorable que les autres territoires puisque les évolutions de la masse salariale et les consommations de soins y sont comparables. Ainsi, les études disponibles montrent que la consommation médicale de la région Alsace est très proche de la moyenne nationale. Une des particularités de l'Alsace, rappelée par la Cnam en mai dernier, est la forte proportion des dépassements d'honoraires mais il n'est pas possible d'établir un lien direct avec l'existence d'un système de solvabilisation publique plus généreux puisque la Moselle est dans une situation très différente avec, au contraire, très peu de dépassements.
Ensuite, le régime local n'a pas toujours été excédentaire. Dans les années 1980, les comptes se sont fortement dégradés sous l'effet notamment de la prise en charge du forfait journaliser hospitalier. En 1989, le régime était déficitaire de plus de 15 millions d'euros. Ce sont d'ailleurs ces difficultés financières qui ont conduit à la réforme du régime dans les années 1994-1995, réforme qui s'est traduite par une autonomie de gestion alors que jusqu'alors les décisions étaient prises par les ministères.
Globalement, les enjeux financiers sont relativement modestes par rapport au régime de base, puisque les dépenses se sont élevées à environ 450 millions d'euros en 2010. Depuis une dizaine d'années, les résultats ont été excédentaires, sauf en 2008, avec un excédent record en 2007 du fait de l'arrivée à échéance de placements qui ont suscité, cette année-là, un produit financier de 41 millions d'euros. Enfin, les réserves financières atteignent désormais 300 millions.
En définitive, la bonne santé financière du régime relève davantage de ses modalités de régulation, définies par voie réglementaire, que de comportements de consommation médicale différents de ceux des autres départements. Un décret encadre les pouvoirs des instances de gestion et fixe un seuil minimal de réserves financières à hauteur de 8 % des prestations.
En ce qui concerne la question de l'extension éventuelle du régime local au reste du territoire, la Cour a retenu deux approches :
- l'approche radicale qui serait la généralisation de ce dispositif d'assurance maladie obligatoire au reste du territoire.
Celle-ci soulèverait une première question : celle de l'augmentation de 1,5 % des cotisations pour les salariés, et eux seuls.
Elle nécessiterait aussi d'analyser l'articulation avec les régimes complémentaires facultatifs, car le régime local ne s'y substitue pas : 81 % des bénéficiaires du régime local contractent une complémentaire santé facultative. En effet, les prestations servies sont différentes : les complémentaires facultatives interviennent avant tout sur les dépassements d'honoraires et les remboursements de frais d'optique et de dentaire. Il faut noter que les tarifs pour les assurés du régime local sont adaptés et inférieurs à ceux applicables aux assurés des autres départements. La Cour recommande d'approfondir la connaissance du recours des assurés sociaux aux complémentaires facultatives en Alsace-Moselle.
L'intérêt financier pour les ménages d'un deuxième étage d'assurance maladie, intermédiaire entre le régime de base et les complémentaires facultatives, dépend de la situation familiale et du niveau de revenu. Pour les personnes célibataires et les salariés aux revenus élevés, le régime local qui est obligatoire se traduit par un coût d'assurance plus important que dans les autres départements. Il assure une redistribution en faveur des salariés aux revenus modestes, des familles dont les deux conjoints y sont affiliés et des retraités. La création d'un système à trois étages impliquerait donc des effets de redistribution entre assurés ;
- une seconde approche par les modes de gestion qui pourraient être une source d'inspiration pour l'organisation de l'assurance maladie. Celle-ci ouvre des voies pour des réflexions à approfondir sur le bon niveau de régulation du système de soins, la possibilité d'expérimenter des mesures de gestion du risque permettant de modifier les interventions respectives de l'assurance maladie obligatoire et de l'assurance maladie complémentaires et la mutualisation de la gestion des prestations entre organismes de base et organismes complémentaires afin d'améliorer le service aux assurés et de diminuer les coûts de gestion.
Dans le dernier rapport annuel sur les lois de financement de la sécurité sociale, la Cour a ainsi esquissé une proposition pour étudier la faisabilité d'une gestion de contrats de complémentaires santé par la Cnam pour les publics en difficulté, au-delà des contrats CMU-c, par exemple pour les bénéficiaires de l'aide à la complémentaire santé (ACS) dans le cadre d'un contrat type. Il faut avoir conscience que les coûts des complémentaires s'élèvent à plus de 20 % en incluant les frais de commercialisation.