La proposition de résolution que j'ai présentée le 17 novembre dernier à la commission des affaires européennes a été adoptée à l'unanimité.
Au printemps 2011, les autorités italiennes ont délivré aux Tunisiens arrivés clandestinement dans le pays des titres de séjour valables six mois, pour des motifs humanitaires. S'en est suivie une polémique disproportionnée, sur le droit ou non pour les intéressés de circuler dans tout l'espace Schengen et sur le défaut de solidarité européenne en matière de gestion des flux migratoires. Le président de la République et le président du conseil des ministres italien ont demandé à la Commission européenne d'élaborer un paquet sur la gouvernance de Schengen. L'espace Schengen est une zone de libre circulation : toutes les frontières intérieures sont abolies, seule subsiste une frontière extérieure unique, faisant l'objet de contrôles selon des procédures identiques partout. La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997 : elle regroupe 26 Etats dont 22 Etats membres. Chypre a demandé un délai supplémentaire, la Bulgarie et la Roumanie en sont au stade de l'évaluation préalable. La commission des affaires européennes a créé un groupe de suivi des accords de Schengen, nommant co-rapporteurs MM. Richard Yung et Jean-René Lecerf.
Quel est l'état du droit ? Dès l'origine avait été prévue une clause de sauvegarde, permettant de restaurer des contrôles aux frontières intérieures : soit de façon urgente et exceptionnelle, en cas de menace grave à la sécurité intérieure ou l'ordre public, pour une durée de 30 jours ou pour la durée prévisible de la menace ; soit dans le cadre d'évènements prévisibles, sommet international, manifestation sportive de grande dimension, avec une information préalable des Etats membres et de la Commission européenne - une consultation est alors engagée et la Commission rend un avis. Depuis 2006, de tels contrôles ont été rétablis vingt-six fois, tous pour moins de trente jours, la majorité d'entre eux pour moins de cinq jours. La prolongation exige une information de la Commission, des Etats membres et, « dès que possible », du Parlement européen.
Quels sont les changements proposés par la Commission européenne ? Ce serait désormais elle qui autoriserait le rétablissement des contrôles, pour trente jours renouvelables, dans la limite de six mois. En cas de manquements aux contrôles de la frontière extérieure par un Etat membre, la Commission procéderait à une évaluation, un plan d'action serait mis en oeuvre. Faute de progrès, les contrôles aux frontières intérieures pourraient être prolongés - trois fois six mois au plus.
L'Assemblée nationale a choisi d'étudier la proposition de règlement de la Commission européenne sous le régime de l'article 88-6 de la Constitution, c'est-à-dire sous l'angle de la subsidiarité. Mais cela n'épuise pas le sujet, c'est pourquoi nous avons préféré nous placer sous l'article 88-4 et présenter une proposition de résolution.
Celle-ci réaffirme notre attachement à la libre circulation : l'espace Schengen a facilité la vie de tous les ressortissants des 26 Etats et de tous les étrangers. Le Parlement européen a pris le 7 juillet 2011 une résolution à propos de la libre circulation, « l'un des piliers de la citoyenneté européenne et l'un des fondements de l'Union européenne en tant qu'espace de liberté, de sécurité et de justice ». Réintroduire des contrôles aux frontières intérieures, c'est ouvrir une brèche sérieuse dans ce principe. Alors que l'Europe est attaquée sur ses fondamentaux et menacée d'un défaut de solidarité entre Etats, une telle remise en cause serait un bien mauvais signal adressé aux eurosceptiques.
Notre proposition de résolution, suivant le Parlement européen, refuse l'assimilation d'un afflux de migrants, même soudain et massif, à une menace grave pour l'ordre public. Une proposition de loi socialiste a été présentée, qui allait dans le même sens. C'est le gouvernement français qui a demandé l'élargissement des clauses de sauvegarde aux cas de pression migratoire. Mais il conteste le choix de la Commission européenne de « regrouper au sein d'une unique procédure et sous l'angle exclusif des menaces à l'ordre public ou la sécurité intérieure l'ensemble des situations justifiant la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures ». M. Léonetti a dénoncé un « amalgame ». Du reste, la notion d'afflux massif de migrants est bien floue et peut donner lieu à des interprétations contradictoires. La proposition de résolution Mermaz relative à la protection temporaire des réfugiés afghans arrivant de l'Afghanistan ou du Pakistan avait été rejetée en 2008 au motif qu'un afflux massif de migrants ne justifiait pas le déclenchement d'une telle procédure...
La France et l'Italie n'ont pas évalué avec précision l'ampleur du mouvement migratoire intervenu au printemps dernier ; 3.200 personnes contrôlées dans la bande des 20 kilomètres le long de la frontière ont été renvoyées chez notre voisin. On estime à 30.000 le nombre de Tunisiens arrivés sur le sol italien entre le 1er janvier et le 5 avril. A la suite de l'accord du 5 avril avec la Tunisie, l'Italie a de nouveau admis les immigrants illégaux. Une solution a pu être trouvée dans le cadre des règles de Schengen. La modification du code frontières de Schengen ne saurait se fonder sur une assimilation des flux migratoires à une menace grave pour l'ordre public.
Des défaillances graves et persistantes dans le contrôle des frontières extérieures doivent trouver réponse au niveau communautaire. En raison de la menace importante pour la libre circulation, la décision de réintroduction des contrôles intérieurs doit être prise par la Commission européenne, si le plan d'action mis en oeuvre dans l'Etat concerné n'a rien amélioré. M. Emorine, à la commission des affaires européennes, a insisté sur la nécessité d'une réponse communautaire en cas de manquements graves - comme en Grèce - dans le contrôle de la frontière extérieure.
Une véritable politique communautaire de l'immigration s'impose, elle ne saurait se réduire à un contrôle aux frontières et une lutte contre l'immigration clandestine. Politique de l'asile, partenariats avec les pays d'origine : la mise en place est bien laborieuse... La commissaire européenne aux affaires intérieures, Mme Malmström, indique néanmoins qu'un texte est en cours d'élaboration.
La proposition de résolution recommande aussi de trouver un juste équilibre entre l'initiative des Etats et l'intervention des autorités européennes. La Commission dans la proposition de règlement s'attribue le pouvoir de décision, pour les évènements prévisibles et, après cinq jours, pour les cas d'urgence. Les ministres de l'intérieur allemand, espagnol et français ont critiqué ce transfert de responsabilités. Nous partageons tous le souci d'une meilleure gouvernance de Schengen, mais il ne faut pas entraver la faculté des Etats de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures. La réactivité et l'efficacité le commandent.
Il est cependant utile de mieux informer, et plus tôt, la Commission européenne : c'est l'objet de l'alinéa 9 de la proposition de résolution. Les interdépendances se renforcent ; ne faudra-t-il pas confier à la Commission des responsabilités accrues au moins au stade de la prolongation ?
La proposition de règlement européen a suscité de nombreuses critiques et l'opposition de la plupart des Etats membres. Il est vrai que la demande de réforme avait été formulée par la France dans l'urgence et la précipitation et que la Commission européenne n'était pas demandeuse ; elle estimait suffisantes les clauses actuelles.
La proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes. Il convient de rechercher un compromis. Mais on est loin d'un accord entre les différentes autorités européennes.