Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 décembre 2011 : 1ère réunion
Limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur :

Comme pour la réforme des retraites, le Sénat est une nouvelle fois saisi en procédure accélérée d'un projet de loi organique étendant aux magistrats de l'ordre judiciaire des mesures relatives aux retraites adoptées dans une autre loi. En effet, le Gouvernement a utilisé la dernière loi de financement de la sécurité sociale pour accélérer le relèvement progressif de l'âge d'ouverture des droits à pension, qui passerait de 60 à 62 ans et du départ à la retraite sans décote - qui passerait de 65 à 67 ans. En vertu de l'article 64 de la Constitution, la modification de l'âge limite applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire requiert une loi organique. Tel était l'unique objet initial du présent texte.

Toutefois, une semaine à peine après son adoption en Conseil des ministres, le Gouvernement a saisi cette occasion pour ajouter par voie d'amendements plusieurs dispositions relatives au statut des magistrats. Nous examinons donc un projet de loi qui dépasse largement son strict objet initial. Les amendements ont repris certaines dispositions figurant dans un projet de loi organique déposé auprès de l'Assemblée nationale, sans que les syndicats de magistrats, qui l'ont découvert grâce aux auditions que j'ai organisées, en aient été avertis...

Le nouveau calendrier inscrit à l'article premier résulte de l'adoption en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale d'un amendement gouvernemental au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Le projet de loi organique a été adopté hier par les députés : voyez dans quelle précipitation nous travaillons !

Repoussant de deux ans l'âge d'ouverture des droits à pension et l'âge limite du départ en retraite, la réforme des retraites devait initialement monter en charge progressivement, par paliers annuels de quatre mois pour les générations nées après 1951. L'accélération du calendrier voulue par le Gouvernement ajoute un mois à chaque palier, ce qui avance d'un an l'achèvement de la réforme. L'article premier applique cette accélération aux magistrats.

Les autres articles résultent d'amendements déposés par le Gouvernement et adoptés conformes par l'Assemblée nationale. Ils reprennent quatre des neuf articles du projet de loi organique relatif au statut des magistrats, déposé le 27 juillet devant l'Assemblée nationale, mais pas encore inscrit à son ordre du jour.

L'article 2 modifie le régime des magistrats placés pour revenir sur la jurisprudence du Conseil d'État qui gêne la Chancellerie. Je rappelle que les magistrats placés sont discrétionnairement affectés par le chef de cour aux postes vacants dans son ressort.

L'article 4 assouplit le recrutement des conseillers ou avocats généraux à la Cour de cassation, dont au moins un quart doit aujourd'hui être recruté parmi les anciens conseillers ou avocats généraux référendaires de cette même cour. Mes interlocuteurs semblent valider cette disposition, mais la précipitation dans laquelle nous travaillons empêche d'apprécier la pertinence du passage du quart au sixième.

L'article 5 remédie aux difficultés procédurales qui ont empêché de constituer le comité médical national compétent pour les magistrats. Mes interlocuteurs sont favorables au nouveau dispositif.

L'article 6 modifie la mobilité statutaire obligatoire pour l'accès aux fonctions hors hiérarchie.

L'article 3 résultait d'un amendement déposé par M. Dosière et adopté par la commission des lois pour interdire aux magistrats judiciaires de recevoir une décoration publique pendant l'exercice de leurs fonctions, ou à ce titre. En séance publique, l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition.

Ces articles soulèvent des difficultés variables.

Le premier étend aux magistrats l'accélération de la réforme de retraite. Peut-on l'accepter sans souscrire à cette réforme ? L'équité impose certes d'appliquer aux magistrats des règles analogues à celles instituées dans le régime général, mais elle commande plus impérieusement encore de revenir sur les dispositions adoptées. Le Sénat s'est d'ailleurs opposé à l'accélération du relèvement de l'âge limite de départ en retraite dans la loi de financement de la sécurité sociale. Un recours a même été déposé devant le Conseil constitutionnel, qui a les chances d'aboutir, compte tenu de la façon dont l'amendement organisant cette accélération a été adopté en nouvelle lecture. Enfin, je rappelle qu'en septembre 2010, notre commission avait souligné l'effet délétère que le relèvement de l'âge du départ à la retraite aurait sur les perspectives de carrière des magistrats. Elle s'était inquiétée des conséquences pour les polypensionnés, notamment les magistrats du troisième concours. Elle avait appelé à des remèdes dans le projet de loi réformant le statut des magistrats. Or, le Gouvernement ne tient aucun compte de nos observations. Pour toutes ces raisons, je vous proposerai donc de supprimer l'article premier.

Les autres dispositions posent moins un problème de fond que de méthode, puisque le Gouvernement a proposé d'ajouter quatre articles sans aucun lien avec la réforme des retraites, une semaine après avoir adopté ce projet de loi en Conseil des ministres. Le Conseil constitutionnel censure les cavaliers législatifs même dans les textes organiques. Or, aucune de ces nouvelles dispositions n'a de lien, même indirect, avec l'accélération de la réforme des retraites. Je rappelle qu'elles figurent dans un texte organique déposé à l'Assemblée nationale sans que le Gouvernement ne l'ait inscrit à l'ordre du jour. Le dépeçage de ce texte ne peut qu'inquiéter, car il éloigne la perspective de traiter toutes les questions posées, notamment la prévention des conflits d'intérêts pour les magistrats.

Cependant, la plupart des mesures proposées sont attendues. Je vous proposerai donc de les adopter.

Je souhaite pourtant attirer votre attention sur trois sujets.

L'article 2 porte de six à douze ans la période pendant laquelle un magistrat pourrait exercer les fonctions de magistrat placé. Ce dispositif est un expédient nécessaire pour faire face aux vacances temporaires de postes, mais il ne doit pas se muer en instrument de gestion de la pénurie. Sa durée moyenne étant de deux ans et onze mois, je proposerai de supprimer la prolongation, contraire à la règle d'inamovibilité des magistrats du siège et susceptible d'entraver l'indépendance de la justice et son bon fonctionnement.

Les nouvelles exigences de mobilité méritent une mise au point. L'introduction de la mobilité obligatoire en 2007, après l'affaire d'Outreau, tendait à s'assurer que les magistrats occupant les postes les plus élevés auraient pu, au cours de leur carrière, envisager le monde d'une place autre que celle de juge. C'est pourquoi les détachements auprès d'autres juridictions avaient été exclus : malgré leur caractère enrichissant, ils auraient maintenu les intéressés dans une fonction juridictionnelle. Le changement d'esprit proposé aujourd'hui n'est pas problématique, mais il faut en être conscient au moment de le valider. J'ajoute que l'allongement de la mobilité à deux ans est une bonne chose.

Enfin, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté un amendement de M. Dosière interdisant aux magistrats de recevoir une décoration publique dans l'exercice de leurs fonctions ou à ce titre. Les parlementaires connaissent bien cette règle cohérente avec la séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire. En séance, l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition que je vous proposerai de rétablir dans une rédaction améliorée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion