Intervention de Stéphane Pénet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 3 novembre 2011 : 1ère réunion
Evolution de la consommation électrique et économie d'énergie

Stéphane Pénet, directeur, Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) :

Si vous avez souhaité entendre les assureurs dans cette réunion, c'est parce que vous vouliez recueillir leur contribution dans l'atteinte des objectifs du Grenelle de l'environnement, notamment s'agissant du bâtiment. Si notre contribution s'impose, il convient d'ajouter qu'il ne faudrait pas croire que tout arrivera, comme par magie, grâce à l'assurance.

Depuis 2007, les assureurs se sont mobilisés sur trois sujets. Premièrement, il s'agissait de pouvoir accompagner les innovations techniques, qu'il s'agisse des techniques de construction ou des matériaux, l'assurance ne devant pas être un frein au développement des innovations, mais accompagner le mouvement. A cette fin, nous avons rapidement travaillé, avec les filières du bâtiment, à la mise en place du Pass innovation, pour rendre assurable plus rapidement des nouvelles techniques de construction ou des nouveaux matériaux, l'avis technique du CSTB pouvant apparaître comme un frein à l'innovation. Nous avons beaucoup cru à ce dispositif, que nous avons promu. Aussi sommes-nous quelque peu déçus par le nombre de Pass octroyés. Quoi qu'il en soit, nous continuerons à promouvoir ce dispositif, qui nous permet de rendre assurables des innovations plus rapidement, à moindre coût pour les industriels.

Le deuxième sujet qui nous a beaucoup mobilisés a été celui de l'assurance des énergies renouvelables, notamment des panneaux photovoltaïques. Les assureurs ont été pris d'une grande crainte lorsqu'ils ont vu débarquer en France des panneaux photovoltaïques d'origine et de qualité très diverses, et des installateurs de panneaux à la compétence parfois contestable. Or les assureurs, notamment du fait du choix de la France de favoriser la filière « intégration à la toiture », sont directement concernés. Car, dès lors qu'un panneau photovoltaïque est intégré dans une toiture, il a une fonction d'étanchéité et rentre dans une responsabilité décennale. A ce titre, les assureurs ont été très vigilants sur la qualité des matériaux et la qualification des installateurs.

Le troisième sujet qui nous a mobilisés est celui de la performance énergétique. Nous avons été très rapidement sollicités sur ce thème, pour savoir comment l'assurance pouvait apporter une certaine protection de la part de ceux qui investissaient, soit en rénovation énergétique, soit dans une construction neuve, avec des objectifs contractuels ou normatifs de performance énergétique.

Quel lien entre la norme et la responsabilité décennale d'un constructeur ? Aucun. La responsabilité décennale d'un constructeur, il faut bien le comprendre, est une responsabilité entièrement construite à côté des régimes de responsabilité de droit commun. Elle doit être analysée au regard de ce que disent les textes, notamment au regard de trois éléments : le dommage crée-t-il une insécurité aux personnes qui vivent dans ce bâtiment ? La solidité du bâtiment est-elle en jeu ? Le bâtiment est-il impropre à sa destination ? C'est au regard de ces trois éléments que l'on jugera si le dommage entre ou pas dans la responsabilité décennale du constructeur. Certains bâtiments peuvent répondre à toutes les normes, tout en créant des dommages de type décennal. D'autres ne répondent pas aux normes, mais créent ou pas des dommages de ce type.

Cela dit, existe-t-il un lien entre un dommage que l'on pourrait qualifier de décennal, et qui rentrerait dans la garantie obligatoire de responsabilité décennale des constructeurs, et la performance énergétique elle-même ? Ce sujet met en jeu une interprétation juridique complexe qui concerne l'impropriété à destination d'un bâtiment. Pour autant, nous en restons, nous, assureurs, à l'esprit de la loi Spinetta de 1978 sur la responsabilité décennale des constructeurs, qui met en avant l'habitabilité du logement. Lorsque la RT 2012 sera mise en place pour le logement, le fait qu'un bâtiment consomme 70 kWh/m².an au lieu des 50 de la norme, ne remet pas en cause l'habitabilité du logement. Pour nous, cette impropriété à destination doit être vue sous le seul critère de l'habitabilité pour les logements et des missions premières attribuées s'il s'agit de logements de type tertiaire ou de bureaux.

D'aucuns jugeront que nous avons une vision restrictive de la responsabilité décennale. Quoi qu'il en soit, c'est une réponse que nous apportons, étant entendu que c'est au juge de dire la loi. Nous défendons cette thèse pour deux raisons principales. La première est que l'assurance a besoin de sécurité juridique : elle ne peut fonctionner dans un cadre où les jurisprudences évoluent sans cesse et font constamment changer l'appréciation du risque. Si l'on entre dans une interprétation sur l'impropriété à destination qui pourrait être celle du confort, de l'environnement, on ne manquera pas d'entrer dans des dérives qui déboucheront sur des insécurités juridiques totales. Or l'insécurité juridique entraînera immanquablement un surcoût de l'assurance construction très important. Pour nous, il est indispensable que le prix de cette assurance soit compatible avec l'économie du bâtiment.

D'aucuns estimeront également que les assureurs n'apportent pas grand-chose en matière de sécurité des maîtres d'ouvrage sur le plan des investissements qu'ils peuvent apporter. C'est oublier les produits d'assurance existant. Ainsi, lorsque la performance énergétique se dégrade, mais qu'elle maintient le logement habitable, la situation étant le fait d'un défaut d'un matériau, nous disposons de contrats d'assurance de type « responsabilité civile produits », qui peuvent jouer. En cas de défaut de conception évident de la part de l'architecte ou du concepteur, la responsabilité civile professionnelle du concepteur peut être mise en jeu.

S'agissant enfin de la performance énergétique, nous avons toujours été sollicités pour développer de nouveaux produits qui permettent de sécuriser la personne, notamment en matière de rénovation énergétique. Comment être assuré d'un retour sur investissement dès lors qu'on améliore la performance énergétique de son bâtiment ? En la matière, il faut le reconnaître, les techniques assurantielles ont leur limite, et ce, en raison notamment de l'aléa comportemental des personnes. Un bâtiment performant est une chose, le comportement responsable des personnes qui y vivent, une autre. Or nous ne savons pas assurer cet aléa comportemental. C'est une première limite de l'assurance sur la question de la sécurisation des personnes s'agissant de leurs investissements. La deuxième limite est celle du risque d'entreprise. De fait, certaines entreprises sont plus compétentes que d'autres. Heureusement, une telle situation n'est pas assurable. Le risque d'entreprise est par nature inassurable.

Pour autant, certains assureurs ont mis en place un certain nombre de produits qui peuvent garantir l'atteinte d'une certaine performance à la livraison du bâtiment. Au-delà, les techniques assurantielles ont leur limite. Des produits de type cautions ou garanties de fin de travaux permettent au maître d'ouvrage de conserver une certaine sécurité sur le fait que l'engagement, contractuel, de label ou normatif, fixé, puisse être atteint. S'il ne l'est pas, la caution pourra jouer, pour faire en sorte que les travaux complémentaires soient menés et que l'objectif soit atteint.

Tels sont les types de produits que les assureurs essaient de développer. Ils seront d'autant plus faciles à développer que nous disposerons des instruments de mesure de la performance énergétique au moment de la livraison des travaux qui seront incontestables et incontestés. Plus ces instruments de mesure peuvent être contestés, plus il sera difficile de développer des produits d'assurance, l'assurance recherchant par dessus tout de l'objectivité dans la façon de mesurer le risque. Nous sommes donc très favorables au développement et à l'amélioration des instruments de mesure, et qu'il y ait un consensus autour de certains instruments de mesure. Grâce à cela, nous pourrons développer des produits de plus en plus performants, sécurisant le maître d'ouvrage sur la qualité des travaux qu'il pourra recevoir.

Encore une fois, l'assurance s'arrête, s'agissant de la performance énergétique, à la livraison, la décennale ne jouant que sur le critère d'inhabitabilité. En résumé, elle peut assurer une certaine sécurité complémentaire dans l'atteinte des objectifs du Grenelle de l'environnement, au même titre que les normes et les labels. Encore ne faut-il pas oublier que la réalité des économies et la réalisation des objectifs du Grenelle de l'environnement sont très liées au comportement des personnes, point sur lequel il n'existe aucune assurance à ce jour.

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