Intervention de Pierre-Franck Chevet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 3 novembre 2011 : 1ère réunion
Evolution de la consommation électrique et économie d'énergie

Pierre-Franck Chevet, ingénieur général des Mines, directeur général de l'énergie et du climat :

La France, depuis très longtemps, a développé une politique énergétique structurée et perçue comme telle par les autres pays. Vous avez cité les décisions historiques prises dans les années soixante-dix, au moment du premier choc pétrolier. On pourrait également évoquer la décision de développer la force hydraulique du pays initiée aux alentours de la deuxième guerre mondiale, décision structurante, dont on recueille aujourd'hui les bénéfices, notamment en matière de CO2. Au moment où, début 2000, se profilait l'ouverture des marchés, la France, tout en l'organisant, s'est astreinte, de par la loi, à un exercice de prévision systématique et organisé en matière énergétique. Il peut sembler étonnant de se lancer dans des exercices de prévision, au moment où un marché est libéralisé. Mais la France a souhaité suivre les choses, essayer d'anticiper autant que possible et donner des signaux aux marchés, notamment parce que les investissements en cause sont longs et importants. C'est le cas dans le domaine nucléaire, mais aussi pour l'éolien, tout comme pour les réseaux : entre la décision de construction d'une ligne électrique et sa réalisation, pas moins de dix ans sont nécessaires. C'est pourquoi nous essayons de réaliser des exercices de prévision, exercices prévus à chaque changement de législature. Le dernier portait sur les années 2006-2009, avec un horizon de temps à 2020. Le prochain est prévu en 2013, avec un horizon de temps à 2030.

Lorsqu'on effectue une prévision pluriannuelle des investissements (PPI), il s'agit d'examiner l'adéquation en énergie, et surtout, en puissance, point très important pour l'électricité. On effectue le même type d'exercice sur le gaz ou la chaleur pour lesquels les problèmes ne se posent pas de la même manière, dans la mesure où le stockage est possible.

Comment procédons-nous ? Nous nous appuyons sur un certain nombre d'exercices de prévision donnés par des spécialistes, notamment des gestionnaires de réseau, RTE pour la métropole et EDF-SEI pour les DOM-TOM, dont les scénarios sont revus tous les deux ans. La dernière version dont nous disposons a été rendue publique en juillet dernier par RTE. Des critères de sécurité d'approvisionnement sont mis en avant, avec une durée moyenne de défaillance visée annuelle de trois heures. La prise en compte de l'apport des interconnexions est également un point important. Comment le prenons-nous en compte ? Considère-t-on globalement qu'on construit un système tel qu'on pourrait s'en passer, dimensionné pour disposer, en moyenne, à satiété de l'énergie et de la puissance nécessaires ? Ou s'appuie-t-on plus sur l'apport des interconnexions ? C'est un point sur lequel je reviendrai, car il touche à des questions de principe qu'il convient d'approfondir. D'un côté, on met en place un marché européen, avec une plaque européenne d'échange, de l'autre, notre système s'est mis en place avec un certain degré d'autonomie s'agissant du paramétrage. Tout cela n'est pas incompatible. Encore faut-il assumer les conséquences de ses choix.

Le dernier bilan prévisionnel RTE, de juillet 2011, porte sur des horizons de temps à 2030. Une prévision à dix ou vingt ans n'est pas le même exercice qu'une prévision à un horizon plus lointain. Au plan politique, sous l'impulsion d'Eric Besson, ministre chargé de l'énergie, nous sommes en train de travailler à un exercice de prévision à 2050. Il faut cependant préciser que cette approche est très différente d'une approche à 2030, pour laquelle les technologies sont connues, même si des incertitudes demeurent, par exemple sur les coûts et les conditions de déploiement. A l'horizon 2050, un certain nombre de technologies sont encore inconnues et on s'engage, de ce fait, dans des scénarios d'équilibres plus globaux, plus ou moins technologiquement indépendants. A horizon de vingt ans, les scénarios sont d'une fiabilité relativement bonne. A plus long terme, on entre dans un autre domaine, nécessaire, mais qui s'appréhende de manière différente.

Vous pourrez apprécier sur les transparents que je commente un certain nombre de courbes, qui font état de la consommation telle qu'on peut l'imaginer en 2020 et 2030, les scénarios prenant en compte les croissances économique et démographique ainsi que les changements d'habitude de consommation. En 2030, les scénarios varient entre 500 et 600 TWh de consommation annuelle.

Le scénario « Grenelle », basé sur une hypothèse de mise en oeuvre des mesures du Grenelle de l'environnement dans les délais prévus, nous place, sur un scénario bas, avec des consommations à peu près inchangées entre aujourd'hui et 2020-2030. Ces mesures permettraient de stabiliser, malgré la croissance, la consommation d'électricité, étant entendu que je parle d'équilibre énergétique global sur une année.

Mais les scénarios ont également un effet sur la puissance maximale appelée. Sur ce point, on constate des résultats significativement différents entre les scénarios hauts, plutôt consommateurs, et les scénarios bas, faiblement consommateurs. Le taux de dépendance augmente beaucoup plus fortement, en proportion, entre les deux types de scénarios.

RTE a également pris en compte un scénario de Grenelle différé, à l'horizon 2030. Il nous rapproche du scénario haut.

Que se passe-t-il sur la pointe selon qu'on prend des hypothèses différentes aux frontières ? L'hypothèse classique retient un import/export nul à la pointe. En moyenne, notre système est dimensionné de façon à produire en son sein l'électricité nécessaire. Il devient alors possible de calculer pendant combien de temps il manquera de l'énergie, quelle puissance nous manquera, pour chiffrer ce manque de puissance que le système aurait s'il vivait en « autarcie ». Actuellement, ce qui manque en puissance de pointe est proche de zéro, à 0,4 GW. Dans les années qui viennent, la dépendance croîtra assez rapidement, pour nous amener à un manque de puissance de 7,2 GW. Dans l'autre hypothèse, qui s'appuie davantage sur les capacités d'importation et d'exportation, les chiffres augmentent beaucoup moins à horizon 2014, où ne manquent que 2,7 GW. Comment traiter la pointe ? Comment gérer la puissance ? Comment augmenter ou baisser la pointe de consommation pour être compatible avec la puissance qu'on délivre ? Tel est l'esprit de la loi NOME (Nouvelle Organisation des Marchés de l'Electricité), dans sa deuxième partie, dont on n'a pas assez parlé, soulignant que l'ensemble des fournisseurs, EDF et alternatifs, doivent avoir les capacités pour faire face aux besoins de leurs clients. Pour réaliser l'adéquation, la loi met en avant soit la puissance au regard de la consommation soit, à l'inverse, l'organisation de l'effacement. On le voit : le sujet est difficile. Traiter la pointe à 7,2 GW ou à 2,7 GW est sans commune mesure. C'est un sujet qui renvoie à l'ensemble du marché de capacité, qui est devant nous.

Cela dit, nous ne sommes pas tant limités par la capacité de production des autres pays que par la capacité physique des interconnexions, sujet qui renvoie à la manière dont on trace les lignes transfrontalières. Je pense en particulier à la ligne France-Espagne, qui est en train de trouver sa solution après vingt ans de travail, non pas simplement du fait d'une mauvaise volonté des marchés, mais aussi des questions légitimes des populations riveraines. Celles-ci se demandent pourquoi elles auraient à subir des pylônes au-dessus de leur tête, au nom du marché européen. Ces questions ne peuvent être balayées d'un revers de main. Elles doivent être traitées par l'enfouissement, solution qui coûte de l'argent.

Nous avons également fait fonctionner des scénarios à l'horizon 2030, scénarios qui prennent en compte l'énergie, le climat et l'air. Ils font des hypothèses énergétiques, tout en s'efforçant d'analyser finement les impacts en CO2 et ceux sur la qualité de l'air. Un scénario prend les mesures telles qu'elles existent et les arrêtent dès lors qu'on sait qu'elles ont une fin de vie. Ainsi de la réglementation thermique 2012, dont on sait qu'elle est acquise. A l'inverse, un crédit d'impôt est une mesure votée, qui ne vaut que pour la période prévue par la loi. Un autre scénario « objectif facteur 4 » prend en compte tous les objectifs du Grenelle, de façon à estimer l'écart entre l'acquis et ce qu'il faudrait faire.

Point important, s'agissant du nucléaire, nous avons intégré, pour la période 2011-2020, compte tenu des décisions prises et sans préjuger de la manière dont le système s'organisera, une stabilité de la puissance nucléaire disponible.

Avec nos modèles, nous passons, dans les scénarios bas, de 450 TW en 2010 à 400 TW en 2020, la différence s'expliquant par les effets de la crise.

Dans à peu près tous les scénarios, des gains sur les émissions de CO2 du secteur électrique sont mis en évidence. Pour les scénarios RTE, comparables entre eux et avec le scénario de référence, le gain s'élève à 53 % entre début 2010 et fin 2020, significativement moins pour le scénario qui prend l'hypothèse d'un nucléaire bas.

Lorsqu'on met bout à bout l'ensemble des mesures du Grenelle de l'environnement et l'argent que la collectivité y consacre, ce sont 4 à 5 milliards d'euros par an qui sont inscrits sur la transition énergétique. Par comparaison, l'ensemble des Français payent 60 milliards d'euros par an pour disposer de l'énergie. De telles sommes, on le voit, sont loin d'être anecdotiques, le prix de l'énergie étant un vrai sujet politique.

En conclusion, l'idée de prospective en matière d'électrique est bien intégrée dans la réflexion publique française. Dans le cadre de l'exercice Énergie 2050, nous avons d'ores et déjà listé une dizaine de scénarios qui traitent de ce sujet. Un des points importants de l'exercice en cours est d'essayer d'analyser beaucoup plus finement les hypothèses, pour mettre en avant des points d'alerte.

En consommation finale, l'électricité représente de 20 à 22 % de notre sujet. Si l'on décarbone toute l'électricité, on aura traité 100 % de 20 % du sujet, étant entendu qu'on n'ira pas jusqu'au facteur 4. Gaz, pétrole et hydrocarbures en général sont donc vitaux. C'est un sujet à traiter, qui renvoie aux usages et qui peut changer la donne.

S'agissant de la maîtrise de la demande, avec l'argent qu'on y inscrit et nos prévisions de baisse de 20 % sur l'efficacité énergétique, on parviendrait avec le Grenelle à gagner 17 %. D'autres pays européens ont beaucoup plus de problèmes que nous. Reste que nous ne sommes pas à - 20 %. D'où la table ronde sur l'efficacité énergétique, pour savoir comment compléter le Grenelle.

Enfin, derrière les questions de réseaux se cachent des questions de profils de consommation. Par exemple, le véhicule électrique peut être une vraie solution si l'on gère bien l'espace de stockage qu'il représente, mais un vrai problème si on les charge tous lorsqu'on rentre à la maison à 19 heures, comme on le fait avec nos autres appareils. La pointe est un sujet dont l'importance est appelée à croître.

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