Intervention de Florence Rodhain

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 3 novembre 2011 : 1ère réunion
Evolution de la consommation électrique et économie d'énergie

Florence Rodhain, maître de Conférences HDR à l'Université Montpellier 2 :

L'histoire des TIC est parsemée de faux espoirs et de vraies idées reçues. Dans les années quatre-vingt-dix, les gourous de l'informatique nous prévoyaient le zéro papier. Mon directeur de thèse a eu l'occasion d'assister à Montpellier à la suppression des imprimantes au sein de la société IBM, avec la montée en puissance des e-mail. Cette mesure n'a duré que deux semaines, les employés ne pouvant se passer de leur imprimante, notamment pour imprimer leurs e-mail. C'est en 1876 qu'a été inventé le téléphone. En 1879, on a retrouvé un éditorial du Times dans lequel un journaliste réputé de l'époque expliquait que les managers n'auraient plus à se déplacer grâce au téléphone. Dans les faits, depuis l'invention du télégraphe, on constate une corrélation très nette entre les progrès des TIC et ceux des autres consommations - papier, transport. Plus il y a de technologie de l'information, plus on consomme de papier et de déplacement.

Cela dit, qu'en est-il de la consommation électrique ? Un « avatar » sur second life consomme autant qu'un « vrai » Brésilien ou deux « vrais » Camerounais, soit l'équivalent de 4,8 kWh.an. Télécharger sur son ordinateur la version électronique d'un quotidien consomme autant d'électricité que de faire une lessive. Une recherche sur le site Google est équivalente à une heure de lumière dispensée par une ampoule à économie d'énergie. En juillet 2011, l'ADEME a montré que l'utilisation des e-mails dans une entreprise de 100 salariés est aussi polluante que 13 allers-retours de Paris à New-York. Un chercheur de l'université de Dresde juge qu'à ce rythme, Internet pourrait, dans vingt-cinq ans, consommer autant d'énergie que l'humanité toute entière aujourd'hui.

J'en viens à quelques données sur la consommation en France, reposant sur le rapport 2008 « TIC et développement durable », établi par le Conseil général de l'environnement et du développement durable et le Conseil général des technologies de l'information, mandatés par les ministères en charge de l'Ecologie et de l'Economie, ainsi qu'un rapport de l'ADEME et d'EDF.

D'après ces rapports, la consommation électrique des TIC en 2008 s'élève à 13,5 % de la consommation française. L'augmentation a été très soutenue entre 1998 et 2008, de l'ordre de 10 % par an. Dans le secteur résidentiel, les TIC occupent aujourd'hui le premier poste hors chauffage, consommant 30 % de l'électricité. Malgré une prise de conscience sur les systèmes de veille, ceux-ci continuent à consommer 10 % de la consommation totale des ménages.

En 2008, la totalité représentait 58,5 TWh.an. La plus grosse partie est occupée par l'informatique, avec 38 %, suivie par les télécoms et l'audiovisuel. Pour le secteur résidentiel, l'audiovisuel occupe la première place. S'agissant de la consommation informatique, les postes de travail professionnels occupent la première place, avec 50 %, contre 32 % chez les ménages. Les serveurs, avec 18 %, sont une grande préoccupation, car très énergivores, d'autant que leur consommation électrique est en très forte croissance, de l'ordre de 15 à 20 % par an, la moitié de cette énergie étant utilisée pour refroidir les serveurs.

Cela dit, cette augmentation doit peut-être être revue à la baisse. Un chercheur comme Jonathan Koomey a montré, en 2007, que la consommation d'électricité des serveurs avait doublé entre 2000 et 2005, mais augmenté de seulement 56 % entre 2005 et 2010.

S'agissant de la production de CO2, les TIC contribueraient à 5 % de leur production en France, avec une marge de 30 %, faute de données fiables. A l'échelle mondiale, on estime qu'elles contribuent à 5 % de la production de CO2, autant que le transport aérien.

Ces deux rapports estiment qu'en 2012 les TIC représenteraient 20 % de la consommation électrique française. Il faut cependant souligner qu'on manque cruellement d'études scientifiques et indépendantes sur ce sujet.

J'en viens à la conscience écologique des consommateurs, et des liens entre TIC et écologie. Nous travaillons sur un panel de consommateurs réputés avoir une très grande conscience écologique. Nous allons chez eux, où nous les interviewons. Ces individus se déplacent à vélo, pratiquent le covoiturage, régulent leur alimentation, consomment bio. Or ils n'ont qu'une conscience très obscure des liens entre TIC et écologie, conscience encore plus obscure entre TIC et électricité. Si ces personnes sont inconscientes des problèmes électriques, on peut supposer cette donnée généralisable à l'ensemble de la population. D'où l'exigence d'information.

Deuxième résultat : ces individus montrent une addiction aux TIC, jugeant leur comportement très difficile à réguler. Si on veut changer les comportements, il faut agir tôt et éduquer le plus tôt possible, avant qu'ils ne soient ancrés dans les habitudes.

En conclusion, ces chiffres montrent une incompatibilité entre l'objectif à 2020 et l'augmentation de la consommation électrique des TIC. Tous les gains réalisés sur l'électroménager et l'éclairage depuis 1995 sont annulés par l'augmentation de la consommation des TIC. Le rapport Emodes - qu'on pourrait presque qualifier de plaidoyer à charge contre l'industrie audiovisuelle - montre que la consommation électrique de l'audiovisuel, secteur qui apparaît comme un secteur qui évolue sans contrainte, a augmenté de plus de 78 % en dix ans. N'y a-t-il donc pas urgence à intervenir rapidement auprès de deux acteurs, à savoir la filière des producteurs ? Les deux rapports cités insistent beaucoup sur l'absence totale d'optimisation énergétique, alors que les gains possibles sont considérables. C'est ainsi qu'on met toujours sur le marché des boitiers ADSL ou des écrans plats qu'on ne peut pas éteindre. Une recommandation évidente serait d'interdire de telles pratiques.

Mais une deuxième recommandation serait d'agir sur le consommateur citoyen, de l'éveiller et l'éduquer sur la consommation des TIC. L'humanité a souvent tendance à s'en remettre au progrès technologique pour sauver la planète. Or sans développement de la conscience du citoyen, les progrès technologiques ne peuvent aboutir aux effets espérés du fait de « l'effet rebond ». Une économie d'énergie fonctionne généralement à comportement constant. Mais souvent, lorsqu'il y a économie d'énergie, il y a changement de comportement. Aussi est-il urgent de passer du vert à la vertu. Toutes les recherches sur les systèmes d'information montrent qu'il n'y a pas de déterminisme technologique, qu'il n'y a pas d'outils bons ou mauvais, verts ou noirs, mais que des utilisations vertueuses ou pas. Pour avoir une action efficace, il faut agir à la fois sur la technique, l'objet, et le sujet.

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