Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il me revient l’honneur de présenter le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
Ce projet de loi avait été annoncé par le Président de la République le 11 novembre dernier, dans le discours qu’il avait prononcé sous l’Arc de Triomphe.
Ce jour-là, le Président de la République rendait hommage à l’ensemble des morts pour la France tout en commémorant la fin de la Grande Guerre. Il s’engageait dans le même temps à pérenniser cette approche nouvelle des cérémonies du 11 novembre.
Aujourd’hui, sa parole est en passe d’être tenue, à la satisfaction des principales associations d’anciens combattants, des familles ou encore des militaires d’active.
Nous le devons aussi à votre mobilisation, mesdames, messieurs les sénateurs. Vous savez tous combien les questions de mémoire sont importantes pour la cohésion de notre société, je dirais même pour sa dignité. C’est pourquoi elles ne peuvent être cantonnées dans des clivages partisans. Votre implication soutenue démontre qu’elles jouent pleinement leur rôle fédérateur.
L’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale fut exemplaire. Il en a été de même ici lors du passage en commission : je vous en remercie vivement.
Cette évolution était nécessaire, et plus encore : notre devoir de citoyen, notre devoir républicain nous l’imposait. Elle vise donc à renforcer la symbolique du 11 novembre, désormais « jour anniversaire de l’armistice de 1918 et de commémoration annuelle de la victoire et de la Paix, [où] il est rendu hommage à tous les morts pour la France ».
Cette évolution tient à deux raisons principales.
La première raison, c’est la disparition du dernier poilu en 2011 et l’approche du centenaire de la Grande Guerre. Pour que l’héritage historique de la Première Guerre mondiale soit préservé, pour que ses enseignements continuent de nous guider et de se transmettre, pour que le centenaire soit un grand moment d’unité nationale, il fallait une approche renouvelée des commémorations.
La seconde raison, c’est la nécessité d’honorer la quatrième génération du feu, qui n’a pas moins mérité de la Nation que les générations qui l’ont précédée. Les théâtres d’opérations se sont multipliés, exigeant de nos soldats un engagement plein et entier, au péril de leur vie. Depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce sont plus de 600 militaires qui sont morts pour la France.
Les événements tragiques de vendredi nous l’ont rappelé douloureusement : le sacrifice de ces soldats mérite tout autant que celui de leurs aînés que l’on se souvienne, et qu’au souvenir soient associés respect et reconnaissance.
Or le calendrier républicain ne permettait pas jusqu’alors de rendre à la quatrième génération du feu l’hommage qui lui est dû. Il n’était cependant pas question de créer une journée commémorative spécifique : la commission Kaspi l’avait souligné, c’eût été fragmenter davantage notre mémoire collective, prendre le risque de la division et, finalement, de l’oubli.
L’esprit nouveau des commémorations du 11 novembre permet de pallier le manque tout en appelant à l’unité.
Associer l’ensemble des générations du feu, c’est en effet souligner les valeurs qu’elles ont en commun, ce sens de l’engagement qui va jusqu’au sacrifice ultime. C’est aussi rappeler que le combat pour la France, pour la liberté et la démocratie, est un combat qui traverse l’Histoire et ne sera jamais dépassé.
Nous l’avons vu ces derniers mois : en Libye et en Côte d’Ivoire, nos armées ont consacré leur professionnalisme, leur courage et leur réactivité au profit de l’aspiration des peuples à la liberté et à la démocratie. En Afghanistan, elles se mobilisent tout autant contre l’obscurantisme et pour la paix. Si les succès remportés, si les progrès réalisés font notre fierté, nous le devons à l’engagement d’hommes et de femmes qui acceptent de risquer leur vie pour une cause qui les dépasse.
Parce que leurs combats sont dignes de ceux de leurs aînés, la filiation entre les générations du feu sera désormais célébrée chaque 11 novembre. Ainsi, plus un mort pour la France, plus un sacrifice ne sera menacé par l’oubli parce qu’il ne peut être associé à une journée particulière de notre calendrier républicain.
Je rappelle que cette évolution ne remet absolument pas en cause les autres dates commémoratives : il n’est pas question d’en supprimer ou de les hiérarchiser. Le Président de la République en a pris l’engagement le 11 novembre dernier : les autres conflits – Seconde Guerre mondiale, Indochine, Corée, Algérie –, les autres événements marquants de l’histoire du XXe siècle – l’appel du 18 juin, l’hommage aux harkis – conserveront leurs journées nationales.
De même, l’héritage historique de la Grande Guerre continuera d’être honoré le 11 novembre. Le texte est clair : le 11 novembre demeure le « jour anniversaire de l’armistice de 1918 ». Et puisqu’il prend la forme d’une loi autonome, il ne modifie en rien la loi de 1922 : celle-ci reste l’acte de reconnaissance et de mémoire des seuls soldats morts au cours de la Grande Guerre.
J’ajouterai que ce projet de loi renforce davantage encore la profondeur historique du 11 novembre. Soulignant son caractère fédérateur, la commission Kaspi estime que le 11 novembre « apparaît, dans le souvenir collectif des Français, comme la manifestation la plus emblématique d’hommage aux combattants morts pour la Patrie ».
La Grande Guerre fut en effet un moment d’unité nationale comme il en existe peu dans notre histoire : unité dans l’horreur, mais aussi unité dans la victoire. Elle est à l’image de l’unité qui doit prévaloir en matière de mémoire : unité entre les générations du feu et unité de la Nation dans l’hommage.
Aussi ce souvenir fondateur du XXe siècle est-il à même de porter le renouveau de notre mémoire collective au XXIe siècle. Il se prête à une symbolique renforcée, à une solennité accrue. Il invite à méditer le sens de notre histoire nationale, que l’on doit d’abord aux morts pour la France, civils et militaires.
Dans le même esprit, le Gouvernement a appuyé, lors de l’examen du texte en commission à l’Assemblée nationale, l’amendement visant à rendre obligatoire l’inscription des morts pour la France sur les monuments aux morts. Cet amendement constitue l’article 2 du texte qui vous est présenté.
Jusqu’à présent, l’inscription était laissée à la discrétion des maires. Tous les morts pour la France, sans exception, pourront désormais recevoir cet hommage de la Nation. C’est un symbole fort, me semble-t-il, que de graver ainsi leurs noms dans le marbre. Et c’est particulièrement important pour le deuil et la mémoire des familles.
Je rappelle également que le Gouvernement soutiendra la construction d’un monument dédié aux soldats morts en opérations extérieures. Ce projet, qui repose sur une coopération productive avec la Ville de Paris, vise lui aussi à pérenniser la reconnaissance de la Nation envers la quatrième génération du feu.
Mesdames, messieurs les sénateurs, « c’est l’honneur d’un grand peuple de respecter ses soldats et d’honorer ceux qui sont morts pour le défendre ». Ces mots, prononcés par le Président de la République le 11 novembre dernier, traduisent l’esprit du texte qui vous est présenté aujourd’hui.
C’est parce que la France se fait une certaine idée de sa vocation dans le monde, c’est parce qu’elle se réclame de valeurs universelles et qu’elle se donne les moyens de les défendre, qu’elle se doit d’être exemplaire dans la reconnaissance qu’elle porte à ses soldats.
Chacun d’entre nous doit sa liberté à ceux qui sont tombés sous les drapeaux. Chacun d’entre nous doit sa dignité à ceux qui acceptent de défendre nos valeurs par les armes. Ce projet de loi nous invite à ne jamais l’oublier. C’est pourquoi je vous engage à lui apporter votre suffrage.