Si elle correspond à la fin de la barbarie et à l’élaboration de projets pacifistes telle que la construction de la Société des nations, cette date est aussi celle de la défaite de l’Allemagne, défaite que le traité de Versailles a rendue humiliante. Alors que nous souhaitons et œuvrons pour une intégration européenne toujours plus importante et que le couple franco-allemand nous est si cher, la date du 11 novembre, monsieur le secrétaire d’État, était-elle réellement la plus appropriée ?
Pour la commémoration de nos morts, la symbolique du 8 mai est plus adéquate. Elle marque la fin des dictatures fasciste et nazie. Mieux encore, nous aurions pu retenir celle du 9 mai, ce jour de 1950 où furent jetées les bases de la construction d’une Europe se fondant sur la paix et la coopération. Ces dates possèdent en effet une charge émotionnelle beaucoup moins belliqueuse. Mais là n’est pas mon principal regret.
Mon véritable regret est que, dans votre précipitation à faire voter cette loi, vous nous avez privés d’un débat apaisé sur ce que doit être la commémoration aujourd’hui.
En premier lieu, je m’interroge sur le visage de ces « morts pour la France ». Qui commémore-t-on ? La Grande Guerre a aussi causé la perte de nombreux civils. Sont-ils comptés au nombre des « héros de la Nation » ? Non ! Ces morts-là, ces victimes innocentes, n’ont pas de monument.
En instituant le 11 novembre un hommage à tous les soldats morts pour la France, vous réaffirmez le caractère militaire de cette commémoration. C’est là un nouveau pas qui nous éloigne du souvenir des victimes civiles de la guerre.
Pourtant, ce projet de loi était l’occasion de repenser notre conception de la commémoration.
Un débat apaisé aurait permis de retravailler le sens que nous donnons au mot « héros ».
Il est certain qu’il ne suffit pas d’obéir à la hiérarchie militaire au sacrifice de sa vie pour être un héros. Les mutins de la Grande Guerre ont rejeté l’absurdité et la barbarie dans laquelle la Nation se trouvait. Ils ont bravé une autorité militaire devenue absurde. À ce titre, ils étaient aussi des héros.
Il est temps de rendre grâce à ces acteurs de la paix, dont la mémoire a été salie pour les besoins de l’Union sacrée.
Un débat apaisé nous aurait permis de reconsidérer la mémoire de Jean Jaurès. Son assassin, Raoul Villain, a été acquitté et son procès annulé, toujours au nom de l’Union sacrée. L’Histoire a donné raison à Jaurès. Qu’attendons-nous pour le rétablir dans son honneur, et reconnaître ce que nous lui devons ?
Il est, certes, important de rendre hommage à tous les morts pour la France. Mais nous vivons aujourd’hui dans un ordre assis sur l’entente et le droit. Aussi nous faut-il rendre hommage à ceux qui font la « guerre à la guerre » et aux « nouveaux Jaurès », acteurs de la paix. Je pense aux travailleurs humanitaires, aux journalistes et aux militants des droits humains.
Vous nous privez de ce débat, monsieur le secrétaire d’État, mais n’est-ce pas précisément de bonne guerre ? Je veux bien admettre qu’il soit plus difficile de légiférer sereinement quand on se sent menacé par le vent du « changement ».