Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le peuple français est paradoxal : cela vient d'être souligné, nous avons de nombreuses commémorations, mais nous savons aussi cultiver dans le même temps l'autodénigrement, voire la repentance.
Ce paradoxe apparent cache, en réalité, un attachement des Français à leur histoire, à leur pays et à leur identité. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez été, comme moi, témoin de cet attachement lors de la célébration du soixantième anniversaire de la mort de Jean de Lattre de Tassigny, à Mouilleron-en-Pareds, le village de naissance de ce grand soldat français, ainsi que d’un autre grand homme, Georges Clemenceau, dont vous vous souvenez aussi, mes chers collègues, qu’il fut sénateur.
Malgré l'heure matinale et la froidure, plus de 1 000 personnes s’étaient ce jour-là déplacées pour témoigner leur profond attachement, mais aussi leur reconnaissance et leur gratitude à l’égard de ce grand soldat, habitées aussi qu’elles étaient, je n’en doute pas, du souvenir de tous les soldats morts pour la France, dans des circonstances souvent dramatiques.
Aujourd'hui, en votant tous ce projet de loi, nous allons faire une belle œuvre. Ce texte nous permet, en effet, de répondre à un triple devoir : un devoir de mémoire, un devoir d'unité, mais, surtout, un devoir de transmission aux nouvelles générations.
Le devoir de mémoire, qui est souvent rappelé, est affaire de justice et de civilisation.
Il est affaire de justice dans la mesure où lutter pour le souvenir de tous ceux qui sont morts pour la France, quelle que soit la génération du feu, revient à combattre une injustice. Car oublier les morts pour la France, c’est, dans l’espace symbolique de la mémoire, leur donner une seconde fois la mort. À une époque où l’actualité raccourcit dramatiquement l'Histoire et où l’instant gouverne tout, il importe d'ancrer dans un jour particulier cet effort, qui doit rassembler la communauté nationale.
Il est également affaire de civilisation, car il n’y a pas de civilisation sans mémoire. Les sociétés sans mémoire sont des sociétés barbares. On a commis l’erreur, finalement fatale, de croire que le devoir de mémoire ne se rapportait qu’au passé. Bien au contraire, il concerne aussi l'avenir. C'est, à mon avis, le sens à donner à cette phrase que j’ai lue dans l’un des très beaux romans de Dostoïevski que je cite de mémoire : les peuples sans mémoire sont condamnés à mourir de froid.
Après le devoir de mémoire, nous avons un devoir d'unité.
Mes chers collègues, cette leçon nous a été donnée, à leur manière, par Clemenceau, avec l'Union sacrée, et par le maréchal de Lattre de Tassigny, avec la 1ère armée composée de résistants et de soldats professionnels.
Je pense aussi bien sûr à ceux qui sont morts dans les rizières ou le djebel et à ceux qui tombent aujourd'hui encore en Afghanistan pour défendre les valeurs de la France, pour défendre les valeurs de la République. Nous sommes tout à fait d’accord, chers collègues.
Oui, l’unité nationale doit aussi se faire autour de la mémoire. Nous en avions sans doute besoin face à l'adversité militaire d’hier ; elle nous est aujourd'hui d’autant plus nécessaire face à l’adversité économique que notre tissu social est aujourd’hui déchiré, par le haut et par le bas, aussi bien par l’hyper-individualisme, au nom duquel l'individu tire tout de la collectivité sans jamais rien lui devoir, que par le communautarisme. À cet égard, vous en conviendrez, mes chers collègues, la France n’est pas une rencontre de hasard : elle est beaucoup plus qu'une juxtaposition d'individus, beaucoup plus qu'un archipel de tribus ou de communautés.