Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 18 janvier 2012 à 14h30
Séjour des étudiants étrangers diplômés — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a une longue tradition d’accueil, qui contribue à attirer les étudiants étrangers.

Ils sont environ 260 000 à choisir notre pays, car ils en apprécient l’histoire, la culture, les valeurs, mais aussi la qualité de l’enseignement, et cela même si nous ne nous classons plus qu’au quatrième rang mondial pour l’accueil des étudiants étrangers.

Cette politique a des conséquences très positives non seulement pour la France, mais également pour le pays d’origine de l’étudiant. Elle participe notamment au développement économique et culturel, dans les deux sens. Les étudiants étrangers formés en France acquièrent une double culture, qui facilite les échanges internationaux.

D’un point de vue économique, si l’on se place dans une logique mercantile, cela favorise la compétitivité de la France sur le marché intérieur des pays dont les étudiants sont originaires. Pour en mesurer les effets, il faut cependant raisonner à long terme, et pas seulement par le petit bout de la lorgnette.

D’un point de vue culturel, cela contribue à la compréhension mutuelle entre les nations et à la connaissance entre les peuples – à la paix, en quelque sorte. Vous me direz que ces données ne se mesurent pas en euros sonnants et trébuchants. En effet, il est question du rayonnement de la France et de la communauté francophone, des artistes, des intellectuels, des chercheurs, mais aussi, tout simplement, des familles.

Dans cette logique, il est absolument nécessaire de conserver, mais aussi de développer davantage encore les partenariats avec les universités étrangères, qui permettent aux jeunes étudiants étrangers ou français d’acquérir un esprit d’ouverture et d’instituer un partage des connaissances à double sens. Or, pour ce faire, il faut continuer à accueillir en France ces jeunes dotés d’un fort potentiel.

Leur interdire de poursuivre une première expérience professionnelle en France a déjà une conséquence négative sur ces partenariats et sur le choix des futurs étudiants, qui préféreront se tourner à l’avenir vers les États-Unis, le Canada, l’Australie ou d’autres États européens.

Depuis le 31 mai 2011, dans notre pays, de nombreux étudiants étrangers perdent leur travail en raison d’une simple circulaire. Contraints de quitter leur emploi et parfois la France, ces étudiants bénéficiaient pourtant de contrats de travail ou de promesses d’embauche. Les entreprises prêtes à les recruter subissent un manque à gagner ; elles perdent une main-d’œuvre hautement qualifiée et connaissent une période d’incertitude. Peuvent-elles recruter des jeunes diplômés étrangers ? Ces derniers risquent-ils de se voir opposer un refus d’autorisation de séjour par l’administration ?

La présente proposition de résolution a pour objet d’inviter le Gouvernement au respect de la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, qui offre aux diplômés étrangers la possibilité d’effectuer une première expérience professionnelle en France à la suite de leurs études. Elle ne concerne que les titulaires d’un diplôme de niveau bac+5 ou supérieur. En vertu de la loi, ces jeunes diplômés disposent de six mois non renouvelables pour conclure un contrat de travail ou obtenir une promesse d’embauche.

Il s’agit en fait d’un changement du contenu même de la loi. Je rappelle, mes chers collègues, que la situation de l’emploi n’est pas opposable aux diplômés étrangers lorsque leur salaire est supérieur à une fois et demie le SMIC.

Il n’est pas acceptable de demander aux préfectures d’appliquer des instructions qui méconnaissent la loi. L’application de la loi, telle qu’elle a été adoptée, est suffisante. Je rappelle au Gouvernement que la circulaire est un instrument qui doit éclairer l’application de la loi et non pas la dénaturer. En la matière, cette circulaire apporte plus de confusions que d’éclaircissements.

Le Gouvernement a dû réaliser son erreur, ce qui l’a conduit à adopter une nouvelle circulaire, désignée comme « circulaire complémentaire », en date du 12 janvier 2012. Si le réexamen prioritaire des dossiers déposés depuis le 1er juin 2011 est positif, il n’en demeure pas moins que la circulaire ne mentionne pas le cas de diplômés étrangers qui sont déjà rentrés chez eux. Qu’en est-il de ceux qui ont perdu leur emploi ? Ces conséquences dommageables ne sont pas réparables.

Compléter une circulaire incohérente par une autre circulaire ambiguë ne résout rien. Cela ne fait que compliquer le travail des préfectures et accroître l’incertitude des diplômés, des universités et des entreprises. Ce changement de position ne fait que rendre opaque les conditions de la délivrance des autorisations provisoires de séjour et des cartes de séjour mention « salarié » pour les jeunes diplômés étrangers. Pendant cinq ans, les préfectures n’ont pas eu besoin de circulaires pour appliquer la loi, qui est très claire.

L’article L. 311-11 du CESEDA dispose en effet que, « à l’issue de cette période de six mois [correspondant à la durée de l’autorisation provisoire de séjour], l’intéressé pourvu d’un emploi ou titulaire d’une promesse d’embauche, satisfaisant aux conditions énoncées ci-dessus, est autorisé à séjourner en France pour l’exercice de l’activité professionnelle correspondant à l’emploi considéré ». Cet article précise en outre qu’il est autorisé à séjourner en France « sans que lui soit opposable la situation de l’emploi ».

Tout est dit ! Le Gouvernement a tenté, par sa première circulaire, d’opposer à ces ressortissants étrangers la situation de l’emploi, là où elle ne pouvait l’être en vertu du CESEDA.

Si la volonté du Gouvernement est de modifier l’état du droit, il lui suffit de présenter un énième projet de loi en ce sens... Mais encore faut-il que le Parlement l’adopte !

Ces circulaires contredisent donc l’esprit de la loi de 2006, dont je vous rappelle pourtant, mes chers collègues, qu’elle a été prise sur l’initiative du Président de la République actuel, alors ministre de l’intérieur.

Pour combler cette amnésie persistante, je reprends les termes du rapport de la commission des lois du Sénat sur ce texte, lequel qualifiait d’« absurde » le principe du retour de l’étudiant étranger dans son pays d’origine à la fin de ses études. Il ajoutait que les diplômés étrangers représentent un potentiel de croissance inexploité qui profiterait à l’ensemble de l’économie française.

Votre circulaire, monsieur le ministre, va à contresens de l’histoire de notre pays et de l’héritage des Lumières dont nous sommes si fiers. Elle n’est malheureusement pas un dispositif isolé ; je pense notamment au relèvement du plafond de ressources exigées des étudiants étrangers dans le décret du 6 septembre 2011 ou à l’augmentation de la taxe de renouvellement des titres de séjour étudiant dans la loi de finances pour 2012.

Ces coups de boutoir contribuent inexorablement à fragiliser et stigmatiser les populations concernées, au lieu de les considérer comme une ressource et un atout pour notre pays. Avec cette politique, vous contribuez à mettre fin, purement et simplement, au rayonnement culturel de la France.

Pire, vous invitez les autres pays à faire œuvre de réciprocité. Je ne serais pas surprise que les étudiants français à l’étranger en pâtissent à l’avenir. Certains pays ne tarderont pas à les accueillir avec aussi peu d’enthousiasme et de considération que le fait notre pays.

C’est pourquoi, dans le respect des principes humanistes et universels auxquels nous sommes profondément attachés, la majorité du groupe RDSE adoptera la présente proposition de résolution de notre collègue Bariza Khiari en faveur des diplômés étrangers qui ont choisi la France.

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