Monsieur le ministre, il faut se féliciter que, à la veille de l’examen par le Sénat d’une proposition de résolution sur l’accueil des étudiants étrangers, vous ayez considéré nécessaire de modifier, sous la pression de vos collègues, la circulaire relative aux conditions d’insertion professionnelle des étrangers venant de terminer avec succès leurs études en France.
Malheureusement, les précisions apportées sont cosmétiques car rien ne change sur le fond. Cette affaire reflète bien la contradiction entre votre politique d’immigration et les intérêts de la France.
Des centaines de jeunes étrangers ayant terminé leurs études étaient prêts à travailler dans nos entreprises, nos centres de recherche. Ils avaient des promesses d’embauche. Pourtant, ils se sont souvent vu refuser par les préfectures les autorisations de travail qu’ils demandaient.
Depuis, nombreux sont ceux qui ont quitté notre territoire. D’autres sont partis par dépit. Après avoir demandé un rendez-vous en préfecture, ils ont préféré d’autres cieux bien plus accueillants. Ceux qui sont partis sont souvent ceux qui avaient déjà de belles opportunités ailleurs.
Pour les établissements d’enseignement supérieur, nos centres de recherche, ce sont leurs accords internationaux qui sont remis en cause, leur capacité d’accueillir des chercheurs et de publier qui sont menacés. Quoi que l’on pense du classement de Shanghai, c’est la capacité de nos établissements à se positionner au sommet de ce type de classement qui a été affaiblie par votre politique.
Pour nos entreprises, ce sont des compétences irremplaçables pour aborder de nouveaux marchés et renforcer leur capacité d’innovation qui leur ont été arrachées.
Triste circulaire, signée au moment du centième anniversaire du premier prix Nobel de Maria Sklodowska-Curie, qui souligne la différence entre, d’une part, la politique traditionnelle de la France, celle qui lui a permis au cours des siècles d’accueillir et de bénéficier du concours de nombreux étrangers venus en France pour étudier et qui ont ensuite contribué au progrès scientifique, industriel et humain de notre nation, et, d’autre part, votre politique qui renvoie les talents hors de nos frontières...
Pourquoi avoir pris de telles dispositions ? Pour satisfaire votre politique du chiffre.
Peu vous importe le coût financier, la perte en compétences, la dégradation de l’image de notre pays. Il faut servir votre politique du chiffre censée vous permettre de récupérer des voix au Front national. Pourtant, vous le voyez aujourd’hui et vous le subirez demain, à crédibiliser cette idéologie d’exclusion, à exacerber les peurs, à stigmatiser les différences, vous devenez le complice, l’agent de ceux que vous prétendez combattre.
Interpellés depuis plusieurs mois sur cette circulaire, les membres du Gouvernement minimisaient la mobilisation des étudiants, des universités, des grandes écoles, voire du patronat. La France était l’une des destinations favorites des étudiants nous disait-on. C’était exact, en tout cas jusqu’à ces derniers mois. Mais, si l’on souhaite conserver son attractivité, il convient d’observer les grandes tendances et de souligner ce que votre circulaire a et aura comme conséquences malheureuses et irréversibles.
Ainsi, au milieu des années soixante-dix, la France était la destination privilégiée des jeunes souhaitant étudier hors de leur pays d’origine. Ils étaient 107 000 chez nous, rapportés au nombre, à l’époque faible, de moins de 800 000 pour l’ensemble du monde.
Aujourd’hui, le nombre de jeunes étudiants hors de leur pays d’origine a été multiplié par quatre, plus de 3, 5 millions ; la France est derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Notre part de marché baisse régulièrement. Nous pourrions même prochainement être dépassés par d’autres pays, en particulier l’Australie.
Dans notre enseignement supérieur, la proportion d’étudiants étrangers s’inscrit en baisse de plusieurs points. Longtemps stable à 15 % environ jusqu’en 1984, elle est passée à un peu moins de 10 % avant que le gouvernement de Lionel Jospin ne développe une politique volontariste en la matière, politique abandonnée depuis plusieurs années. Nous en sommes aujourd'hui à 11 %.
Comment votre circulaire participe-t-elle à ces effets désastreux ?
En pesant, d’abord, sur les perspectives concrètes d’insertion professionnelle des étudiants en France. Ils constatent maintenant que les entreprises rechignent à leur accorder des stages de fin d’études en raison de l’impossibilité d’avoir la certitude de pouvoir les recruter après leurs études. Cela aura vite des conséquences sur l’attractivité et le classement de nos universités et grandes écoles si les étrangers ne sont plus embauchés à la sortie.
Cette observation est déjà connue des jeunes étrangers, candidats à des études en France, et aura des effets significatifs. L’Agence CampusFrance, créée pour les accompagner dans la définition de leur parcours au sein de notre système d’enseignement, voit son rôle complété par des missions consulaires, qui ne déchargent pas pour autant nos postes comme la vérification de l’exigence de ressources. Ainsi, un étudiant dont le profil ne convient pas à CampusFrance n’en est pas toujours averti. Il va de ce fait dans le mur en payant les taxes correspondant au dépôt d’une demande de visa dont il ne sait pas qu’elle est vouée à l’échec, alors qu’il a déjà payé une taxe à CampusFrance. Dans d’autres cas, l’avis de CampusFrance est positif, mais l’étudiant n’est pas averti qu’il ne remplit pas les conditions du consulat pour obtenir son visa étudiant. J’ai reçu récemment le ministre djiboutien de l’enseignement supérieur ; il me faisait part des difficultés rencontrées par des étudiants pourtant détenteurs de bourses d’excellence du gouvernement djiboutien qui, faute de visa, se sont retournés vers la Belgique... mais aussi vers la Chine !
Enfin, pour nos écoles françaises à l’étranger, dont les frais de scolarité sont chaque année plus discriminants pour les étrangers, le signal de l’absence de perspectives en France constitue un signal inquiétant susceptible de remettre en cause leur équilibre financier et pédagogique. Car pourquoi suivre une scolarité française à l’étranger si elle n’offre aucune perspective de continuation dans notre enseignement supérieur ?
Autre point : l’absence de fonctionnement unitaire de l’État et l’absence de respect de la loi dans les textes réglementaires...
Nous avions été nombreux lors de la discussion budgétaire à dénoncer les conditions dans lesquelles sont reçus les étrangers dans certaines préfectures, malgré les augmentations exponentielles des taxes qui leur sont imposées. Procédures et conditions d’accueil semblent sorties du XIXe siècle...
Surtout, les préfectures n’interprètent pas de la même façon l’article L. 311-11 du CESEDA et les décrets et circulaires pris en application. Certaines fonctionnent bien ; d’autres refusent de donner des récépissés, ceux-ci ne donnant d’ailleurs pas toujours les mêmes droits. On se heurte aussi parfois à des refus de dépôt liés à des quotas journaliers déjà atteints ou à des dizaines d’heures d’attente... Ces témoignages, le Collectif du 31 mai aurait pu vous les transmettre afin d’améliorer le fonctionnement de vos services. Vous ne les avez pas reçus...
Un principe mérite aussi d’être clarifié. La France a besoin d’être attractive, d’attirer des étudiants étrangers. C’est une condition de sa bonne insertion dans les échanges de savoir au XXIe siècle. Elle ne saurait, par la faute de votre politique, perdre une place qu’elle a toujours eue historiquement. C’est fondamental car l’ouverture internationale est un moteur du développement économique, un réservoir essentiel de croissance.
C’est aussi important pour les jeunes Français qui, partis étudier à l’étranger, risqueraient de se voir appliquer une « réciprocité Guéant» et pourraient ainsi se retrouver punis dans leur recherche de stage ou d’emploi à l’étranger. Voilà, mes chers collègues, comment votre gouvernement aborde l’intégration de notre pays dans le monde de demain !