Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 25 janvier 2012 à 14h30
Agents contractuels dans la fonction publique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le législateur est appelé à valider les termes d’un accord négocié entre le Gouvernement et les organisations syndicales.

En effet, le présent projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat le 7 septembre 2011, vise d’abord et principalement à transposer dans la loi les stipulations du protocole signé le 31 mars 2011 portant sécurisation des parcours professionnels des agents contractuels dans les trois versants de la fonction publique : accès à l’emploi titulaire et amélioration des conditions d’emploi.

Monsieur le ministre, ce projet de loi apparaît comme une éclaircie dans un contexte très sombre de dénigrement systématique des fonctionnaires et de réduction drastique des effectifs, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Il ne saurait occulter les difficultés croissantes que les services publics rencontrent dans leur fonctionnement en raison des suppressions de postes.

La commission des lois a abordé avec pragmatisme l’examen d’un projet de loi qui se présente comme essentiellement technique et apporte des réponses concrètes à des situations d’injustice et de précarité, mais dont l’efficacité dépendra de la réalité de sa mise en œuvre et du nombre de postes ouverts à la titularisation.

Par un mouvement pour ainsi dire naturel, des dispositions se sont greffées sur le projet de loi qui répondent à des difficultés d’importance inégale.

C’est ainsi que des retouches sont apportées à la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, ainsi qu’à la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

En outre, le vivier de recrutement des juridictions administratives et financières est élargi. Je rappelle d’ailleurs que les projets de réforme de ces dernières, attendus depuis plusieurs années, n’ont pas abouti à ce jour.

Le présent projet de loi est, en quelque sorte, le dernier train de la législature. Il constitue donc l’ultime opportunité de modifier ou de compléter les statuts de la fonction publique pour conforter leur cohérence et la bonne marche des institutions publiques.

C’est dans cet esprit que, suivant son rapporteur, la commission des lois a examiné le projet de loi. Par réalisme, elle en a adopté les différentes parties, tout en regrettant une hétérogénéité qui n’est pas de bonne pratique législative. Elle a décidé de s’en tenir au périmètre ainsi fixé, afin de conserver à l’ensemble une certaine cohérence sans anticiper des réformes qui méritent de faire l’objet d’un débat spécifique.

Au cœur du texte se trouve un nouveau plan de résorption de la précarité qui fragilise de nombreux agents non titulaires. Malgré les efforts passés et la titularisation de dizaines de milliers d’entre eux, qui ne furent que des améliorations fugitives, la situation antérieure est réapparue. Le recours commode aux non-titulaires comme variable d’ajustement d’effectifs tendus ne se tarit pas : beaucoup trop sont maintenus dans la précarité, alors même qu’ils contribuent à assurer durablement le fonctionnement normal du service public.

Votre rapporteur observe que ce quinzième plan s’accompagne d’une sécurisation pour les « recalés » par la « CDIsation » et de plusieurs mesures destinées principalement à renforcer l’accès au CDI introduit par la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique.

Approuvant dans son ensemble l’esprit du double volet consacré aux contractuels – plan de titularisation et réforme du régime juridique des contrats –, la commission des lois, tout en lui apportant des corrections techniques, en a renforcé les garanties sur plusieurs points.

Le dispositif spécifique de titularisation arrêté au terme de la concertation conduite par le Gouvernement repose sur un équilibre que les partenaires sociaux, dans leur très grande majorité, ont accepté. Le fait est suffisamment rare pour être souligné et soutenu ; la commission n’entend pas altérer cet équilibre.

Pour la première fois depuis que, en 2010, il a rénové le cadre légal du dialogue social, le législateur est appelé à donner force de loi aux conclusions fructueuses d’un accord.

En conséquence, en dehors de diverses rectifications destinées à préciser le projet de loi et à assurer sa cohérence dans l’ordonnancement juridique ainsi que sa lisibilité, la commission n’a adopté, pour l’essentiel, que quatre modifications.

Par cohérence, tout d’abord, elle a intégré dans le calcul de l’ancienneté requise les services accomplis soit pour assurer le remplacement de fonctionnaires momentanément absents ou autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel soit pour pourvoir à un emploi temporairement vacant.

Ensuite, elle a fondé le droit d’accès à l’emploi titulaire sur la réalité des services accomplis par le candidat. À cette fin, elle a distingué deux cas : les agents en CDI seront titularisés dans un corps ou dans un cadre de même niveau que celui correspondant aux fonctions qu’ils exerceront au 31 mars 2011 ; les agents en CDD accéderont à la catégorie dans laquelle ils auront exercé le plus longtemps s’ils ont quatre ans d’ancienneté ou, si leur ancienneté est supérieure, à la catégorie la plus élevée, quelle que soit la durée pendant laquelle ils auront exercé les fonctions correspondantes.

En outre, pour tenir compte de la diversité des employeurs territoriaux, la commission leur a offert la faculté de confier l’examen de la recevabilité du dossier d’un candidat pour le cadre d’emplois ouvert par le recrutement auquel il se présente à la commission d’évaluation professionnelle mise en place pour conduire les sélections professionnelles. Le choix ainsi donné à l’autorité territoriale devrait faciliter la mise en œuvre du dispositif de titularisation, notamment dans les petites collectivités.

Enfin, la commission a étendu le bénéfice du dispositif aux contractuels des administrations parisiennes ainsi qu’aux personnels des établissements qui seraient exclus du bénéfice des dérogations à l’emploi titulaire. Elle a aussi sécurisé pour l’avenir la situation de ces agents et de ceux des institutions sous le même régime dérogatoire qui réintégreraient, au gré des aléas de l’architecture administrative et institutionnelle, le droit commun de l’emploi statutaire.

Les clarifications apportées au régime des contrats pour prévenir les effets pervers des modalités actuelles du renouvellement des contrats et de leur transformation en CDI méritent d’être approuvées dans leur principe : en resserrant leurs conditions d’emploi, le texte présenté aujourd’hui au Parlement devrait écarter, à l’avenir, les abus les plus criants.

Les rapprochements opérés entre les trois versants de la fonction publique ainsi que la réaffirmation du principe essentiel de l’emploi titulaire permettront de conforter le statut alors que, dans le même temps, la place du CDI y est élargie. Certes, la « CDIsation » est le moyen de lutter contre la précarité, mais elle ne doit pas devenir une voie parallèle de recrutement dans les services publics.

Je demeure cependant prudente sur les résultats escomptés. Seule la pratique permettra de mesurer les effets du système. Il n’en reste pas moins que les modifications proposées devraient limiter les détournements du mécanisme et sécuriser davantage la situation des personnels concernés.

C’est pourquoi la commission des lois n’a déposé sur ce second volet, traduction fidèle de l’axe 2 du protocole d’accord du 31 mars 2011, que des amendements destinés à préciser, assouplir, clarifier et compléter les mesures proposées.

Elle a notamment porté de trois à quatre mois la durée des interruptions entre deux contrats qui autorise la prise en compte des services discontinus dans le calcul de la durée de la condition de six ans pour donner accès au CDI. Cet élargissement devrait notamment sécuriser la situation de nombreux contractuels de l’éducation nationale.

Le titre III du projet de loi comporte des dispositions destinées principalement à renforcer la mobilité des fonctionnaires dans l’esprit qui a présidé au vote de la loi du 3 août 2009.

La commission est favorable à ces assouplissements, qui renforceront la possibilité, pour les fonctionnaires, de conduire des parcours professionnels diversifiés, sous réserve que soient apportées au texte proposé plusieurs harmonisations, précisions et actualisations afin d’en conforter la cohérence juridique.

La commission a notamment voulu clarifier la faculté nouvelle d’une mise à disposition de fonctionnaires à l’étranger auprès d’entités fédérées assurant des missions qui, en France, sont confiées à l’État.

Sur proposition du Gouvernement, elle a ajusté ponctuellement les lois statutaires pour tenir compte, d’une part, de la suppression du paritarisme au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État en adaptant sa composition lorsqu’il siège en tant qu’organe supérieur de recours – là, le paritarisme est évidemment nécessaire – et, d’autre part, de la disparition des sièges préciputaires au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale en ce qui concerne la composition des conseils régionaux d’orientation placés auprès du délégué régional du Centre national de la fonction publique territoriale.

Par ailleurs, la commission des lois a retenu l’institution de commissions consultatives paritaires pour les contractuels des collectivités territoriales, disposition proposée par notre collègue Hugues Portelli.

Elle a complété le projet de loi en adoptant un ensemble de mesures d’harmonisation et d’ajustements ponctuels proposées par le Gouvernement.

Elle a tiré les conséquences de la réforme des retraites de 2010. Elle a ainsi prévu un dispositif transitoire pour les fonctionnaires territoriaux en congé spécial et a aligné l’âge d’ouverture des droits à retraite des agents publics ayant la qualité de travailleur handicapé sur celui du régime général d’assurance vieillesse. Elle a aussi abaissé de trois à un mois la durée du sursis de l’exclusion temporaire des fonctions dans la fonction publique territoriale pour l’aligner sur celle des deux autres versants. Elle a fixé au 16 juin 2011, date d’entrée en vigueur du décret classant en catégorie B les personnels du corps des permanenciers auxiliaires de régulation médicale, la date d’effet de leur intégration. Elle a enfin prolongé de trois ans, jusqu’au 31 décembre 2016, la période durant laquelle les fonctionnaires de La Poste peuvent demander leur intégration dans l’un des corps ou cadres d’emplois des trois fonctions publiques : d'État, territoriale et hospitalière.

La commission des lois a complété le volet consacré aux juridictions administratives et financières avec la volonté de renforcer leurs moyens de travail et de faciliter ainsi l’exercice de leurs missions. Il s’agit principalement d’élargir leurs viviers de recrutement, notamment pour pallier le tarissement progressif des promotions de l’École nationale d’administration décidé par le Gouvernement.

L’ensemble de ces dispositions, celles que contenait initialement le projet de loi comme les ajouts de la commission, reprennent pour partie, et parfois bien au-delà des clivages partisans, les mesures, d’une part, d’un avant-projet de loi de 2008 consacré aux juridictions administratives – ce texte n’a jamais été déposé devant le Parlement – et, d’autre part, du projet de réforme des juridictions financières, déposé au mois d’octobre 2009 à l’Assemblée nationale, mais dont l’examen n’a pas dépassé le stade de la commission.

Je me réjouis que la commission des lois du Sénat, en adoptant à l’unanimité le texte modifié, ait suivi la position de son rapporteur et approuvé l’élargissement de l’accès au Conseil d’État des conseillers de tribunaux administratifs et de cours administratives d’appel par la voie du tour extérieur ou encore par l’affectation de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel au Conseil d’État, auprès de la mission d’inspection des juridictions administratives.

De plus, il me semble que la pérennisation du concours dit « complémentaire » de recrutement de membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, provisoire, mes chers collègues, depuis 1977, était devenue indispensable.

Les propositions du Gouvernement de détacher des militaires et des professeurs titulaires des universités dans le corps des magistrats des chambres régionales des comptes et d’aligner la durée des incompatibilités applicables à ces magistrats sur le régime des autres fonctionnaires, soit trois ans, semblent justifiées.

La commission est toutefois allée plus loin. Elle a rendu obligatoire chaque année la nomination au Conseil d’État d’un second maître des requêtes choisi parmi les membres des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel. Elle a instauré la qualité de maître des requêtes en service extraordinaire. Elle a pérennisé le recrutement complémentaire de conseillers des chambres régionales des comptes. Elle a facilité la mobilité des présidents de tribunaux administratifs et cours administratives d’appel en limitant à sept le nombre d’années qu’ils peuvent passer à la tête d’une même juridiction. Sur proposition avisée de notre collègue Michel Delebarre, elle a consacré le statut de magistrat administratif des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Elle a diversifié le vivier des recrutements effectués par la voie du tour extérieur au grade de conseiller référendaire à la Cour des comptes. Elle a assorti de garanties supplémentaires les détachements dans le corps des chambres régionales des comptes.

Bref, par le texte qu’elle a adopté, la commission des lois s’est efforcée d’organiser plus efficacement encore les moyens humains dont disposent les juridictions administratives et financières.

Je regrette, cependant, qu’il n’ait pas été possible d’examiner ces dispositions dans le cadre de textes spécifiquement consacrés à ces juridictions.

Sans pour autant donner quitus au Gouvernement de sa politique conduite dans le domaine de l’emploi dans la fonction publique, je souhaite, tout comme M. le ministre, que le texte que nous examinons aujourd’hui, très attendu, fasse l’objet d’un examen serein.

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