Intervention de Paul Vergès

Réunion du 25 janvier 2012 à 14h30
Agents contractuels dans la fonction publique — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Paul VergèsPaul Vergès :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui soulève une question : sa mise en application va-t-elle favoriser la cohésion et l’unité de la fonction publique, en faisant notamment disparaître la précarité, ou, au contraire, porter une nouvelle atteinte à cette unité par la création d’une catégorie supplémentaire de salariés ?

Cette question de l’unité de la fonction publique est posée avec acuité en France, mais elle l’est à son paroxysme outre-mer, particulièrement à la Réunion.

Dans moins de deux mois, le 19 mars, nous allons célébrer le soixante-sixième anniversaire de la loi de 1946, faisant de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane des départements français. Trois générations se sont ainsi succédé durant ces six décennies dans la fonction publique. Or la situation que l’on connaît aujourd’hui est totalement anarchique, alors que la loi du 19 mars 1946 faisait obligation de régulariser cette situation au 1er janvier 1947.

Tout d’abord, s’agissant du statut, il faut constater que la fonction publique d’État comme la fonction publique hospitalière se composent, dans une très large majorité, d’agents titulaires. En revanche, dans la fonction publique territoriale, particulièrement à la Réunion, les deux tiers des agents sont des contractuels.

Ensuite, concernant les rémunérations, les agents titulaires bénéficient outre-mer de ce que l’on appelle des majorations de rémunération. Cette surrémunération atteint 53 % à la Réunion et trouve son origine dans la prise en compte du coût de la vie et une indexation établie à l’époque du franc CFA aujourd’hui disparu.

Rappelons que ces majorations de traitement, décidées par l’État, ont été maintenues par tous les gouvernements successifs. Ces compléments de rémunération sont aussi appliqués aux salariés d’organismes publics ou parapublics, avec des coefficients variables selon les secteurs.

Dans la fonction publique territoriale à la Réunion, l’écrasante majorité des agents n’est pas titulaire et ne bénéficie donc pas de l’égalité de traitement avec la minorité d’agents titulaires.

Cette forte inégalité entre les agents titulaires et les agents non titulaires est une évidence : où est donc le principe d’égalité ? Qui est responsable depuis soixante-six ans du refus de la cohésion de la fonction publique et, par voie de conséquence, de la cohésion sociale ?

À cela s’ajoute la question des salariés qui travaillent sous contrat précaire, plus particulièrement dans les mairies, ou dans les établissements publics locaux d’enseignement – lycées, collèges – qui, pour des raisons budgétaires, ont été recrutés sous contrats aidés.

Or dans le secteur privé, en raison de la politique des gouvernements successifs concernant la rémunération de la fonction publique d’État, certaines entreprises appliquent souvent un coefficient d’indexation pour leurs cadres, mais jamais pour la masse des salariés. Cette indexation est de 30 % à 40 % dans les banques et les assurances par exemple, et elle s’élève à 70 % à la radio et la télévision publiques.

Ces disparités de revenus sont encore plus flagrantes lorsqu’on évoque la situation du tiers de la population réunionnaise, allocataire de minima sociaux, qui, eux, ne sont pas indexés alors que le coût de la vie est le même pour tous. Cela explique le taux de pauvreté de près de 50 % de la population selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE.

Ainsi, la question des revenus à la Réunion est celle qui cristallise toutes les contradictions, et cette inégalité institutionnalisée s’aggrave constamment…

Cela s’oppose totalement au principe qui régit la fonction publique : tout fonctionnaire est en droit de prétendre au même traitement, à qualification, grade et échelon égaux, qu’il entre dans le cadre de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière.

Or si les communes d’outre-mer devaient verser à tous leurs agents la surrémunération décidée par l’État au nom du coût de la vie depuis soixante-six ans, leur budget de fonctionnement n’y suffirait pas et les budgets d’investissement se verraient extrêmement contraints. Ces majorations de rémunération décidées par l’État, dès lors qu’elles sont à la charge des collectivités, constituent un obstacle à la titularisation de l’écrasante majorité des employés communaux, qui sont ainsi privés du statut auquel ils ont droit. Et cela dure depuis trois quarts de siècle !

Or, je le rappelle, la décision de l’application d’un coefficient de majoration de traitement a été prise par l’État pour tous les fonctionnaires servant outre-mer, qu’ils relèvent de l’État ou des collectivités. Cette situation crée une rupture d’égalité de charges entre les collectivités de la France continentale et celles de l’outre-mer.

La situation actuelle impose en effet aux collectivités locales d’outre-mer des charges supplémentaires, celles qui sont liées aux compléments de rémunérations de leurs agents titulaires, alors que les collectivités de France continentale n’ont pas à supporter cette charge financière.

En outre, les collectivités d’outre-mer doivent faire face à des obligations que ne connaissent pas les collectivités de France métropolitaine : le potentiel fiscal est globalement moins important outre-mer ; les retards en termes d’équipements et d’encadrements sont importants ; enfin, la progression démographique outre-mer implique la création d’équipements supplémentaires. À la Réunion, le nombre d’habitants, qui est aujourd’hui de près de 850 000 habitants, s’élèvera à plus d’un million dans seulement quinze ans.

Dès lors, au nom du principe de l’égalité de traitement entre collectivités, il appartient à l’État, et à lui seul, de prendre en charge le coût des surrémunérations des agents de la fonction publique territoriale outre-mer, et de lever ainsi l’obstacle majeur à la titularisation des agents communaux et à la résorption de la précarité dans la fonction publique, objet même de ce projet de loi !

Les milliers d’agents de ces collectivités – 16 500 à la Réunion, sans compter les 8 000 emplois aidés – ont déjà trop attendu pour que, aujourd’hui, on laisse passer l’occasion, à travers le présent texte, de résoudre une fois pour toutes la question de leur titularisation.

Le Gouvernement, quel qu’il soit, doit prendre conscience que cette situation d’injustice, qu’il a créée et pérennisée pendant soixante-six ans, doit obligatoirement cesser. Le climat est explosif !

Le vote de ce projet de loi, visant à la résorption de la précarité et à faciliter la titularisation des agents contractuels, doit créer une obligation morale pour le Gouvernement de régler, cette année même, cette question récurrente outre-mer, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés.

Afin d’y parvenir, le respect du principe d’égalité est essentiel : d’une part, l’égalité de traitement entre tous les fonctionnaires servant dans un même département, quelle que soit la fonction publique à laquelle ils sont rattachés, et, d’autre part, l’égalité des charges imposées aux collectivités de la République, de France comme d’outre-mer. Le sort de 100 000 travailleurs qui subissent cette inégalité outre-mer est en jeu !

Rien ne peut en tout cas justifier l’éviction du statut de la fonction publique de dizaines de milliers d’agents des collectivités. J’espère avoir été entendu… §

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