Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en ma qualité de président du groupe d’information sur le Tibet que je souhaite apporter un éclairage complémentaire à nos débats.
Je ne me prononcerai pas de manière définitive sur l’intérêt ou la légitimité des lois dites « mémorielles », non plus que sur la constitutionnalité d’une incrimination pénale de la contestation de l’existence des génocides. Mon propos est autre : je veux profiter de l’attention que le Sénat accorde à la très grave question des génocides pour rappeler que l’un d’entre eux est en cours, aujourd'hui, sur les hauts plateaux tibétains.
Je sais que cette affirmation va se heurter à une certaine incrédulité. D’aucuns, s’estimant bien informés, vont me rétorquer que l’oppression exercée par les autorités chinoises sur les Tibétains, aussi pesante soit-elle, ne peut pas être assimilée à un génocide. Et pourtant !
À ceux-là, je répondrai par deux considérations.
Premièrement, il ne faut pas oublier que l’occupation du Tibet par la Chine en 1949 a été suivie par l’élimination physique de centaines de milliers de Tibétains. Le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala, en Inde, estime le nombre des victimes à 1, 2 million de personnes, sur une population totale qui s’élevait à 5 millions ou 6 millions. Certes, comme il est d’usage en matière de génocide, son auteur, c’est-à-dire le gouvernement chinois, nie l’ampleur de ce chiffre. Certains universitaires occidentaux l’ont également révisé à la baisse, l’estimant plus proche de 700 000 à 800 000 victimes. Ce qu’il faut retenir, c’est que, dans les premières décennies de l’occupation du Tibet, il y a bien eu un début de génocide physique, qui a d’ailleurs été reconnu en 1960 par une commission internationale de juristes.
Deuxièmement, il y a d’autres manières de faire disparaître un peuple que d’éliminer physiquement les hommes et les femmes qui le constituent. Il suffit de le priver de sa langue, de sa culture et de sa mémoire.
C’est la stratégie qui est actuellement mise en œuvre, de manière très consciente et organisée, par les autorités chinoises au Tibet. Derrière l’autonomie de façade et les droits reconnus en théorie aux prétendues « minorités nationales » par la Constitution chinoise, la réalité est celle d’une politique d’assimilation forcée. La langue tibétaine est marginalisée dans l’enseignement et les usages professionnels, la toponymie est systématiquement sinisée, la religion tibétaine est mise sous surveillance et dénigrée. La Chine espère ainsi parvenir à s’incorporer complètement le petit peuple tibétain, de même qu’ont déjà été entièrement assimilés les peuples mandchous et mongols.
C’est pourquoi un homme d’une grande sagesse, le Dalaï-Lama, qui pèse ses mots, évoque un « génocide culturel » en ce qui concerne la politique conduite par Pékin au Tibet.
Quelles sont les chances de faire échec à ce génocide culturel ?
Nous pouvons, fort heureusement, compter sur l’esprit de résistance du peuple tibétain, qui apparaît indomptable. Soixante ans après l’annexion du Tibet, le soulèvement du printemps 2008 est venu rappeler au monde que les Tibétains n’acceptaient toujours pas la tutelle chinoise.
Mais la répression est sévère depuis cinq ans, sous un régime de loi martiale qui ne dit pas son nom. Depuis ces dernières années, les immolations par le feu se multiplient, témoignant du degré de désespoir atteint par le peuple tibétain.
C’est maintenant qu’il nous appartient de ne plus fuir nos responsabilités. Rien ne sert de reconnaître les génocides passés, si nous ne nous préoccupons pas de ceux qui sont en cours.
Le premier combat à mener est d’abord celui de la vérité. Les auteurs d’un génocide tirent en effet toujours parti du silence des nations. Se taire, c’est être complice. La France et l’Union européenne doivent s’exprimer clairement sur la question du Tibet et signifier aux autorités de Pékin ce qui leur paraît inacceptable. Alors seulement, dans une deuxième étape, l’étau qui pèse sur le peuple tibétain pourra se desserrer.
Tel est le témoignage que je voulais porter dans ce débat. Pour le reste, j’aurai l’occasion de m’exprimer lors de l’examen des motions.