Vous avez aussi prétendu, monsieur le président de la commission des lois, que ce texte constituait une atteinte à la liberté d’opinion et d’expression prévue par la Constitution et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que M. Mézard a également évoquée.
La liberté d’opinion n’est évidemment pas ici en cause puisque seule l’expression publique de la négation des génocides reconnus par la loi sera sanctionnée. Le débat ne peut donc porter que sur la liberté d’expression, que ce texte limite en effet, mais comme la limite également la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 en définissant une série de délits ! La question est de savoir si cette limitation est justifiée ou excessive.
Je le rappelle, tant nos règles constitutionnelles que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme reconnaissent que la liberté d’expression peut connaître des limites.
L’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a été invoqué tout à l'heure, proclame la liberté d’expression, mais tout en disposant que les citoyens doivent répondre des abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. C’est bien le cadre dans lequel nous nous situons ! Vous ne pouvez donc pas nous opposer cet argument de l’atteinte à la liberté d’expression et d’opinion.
Pour ce qui est de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, son article 10 protège la liberté d’expression tout en reconnaissant qu’elle peut faire l’objet de limites. Quant à l’article 17, M. Kaltenbach l’a justement rappelé, il vise à interdire les abus de droit pouvant résulter d’une interprétation excessive d’autres dispositions de la convention.
Puisqu’on m’a opposé des arguments de droit, pour y répondre, mon devoir est de me placer également, en tant que représentant du Gouvernement, sur le terrain du droit.
Statuant sur la conformité d’une condamnation prononcée sur le fondement de la loi Gayssot, la Cour de Strasbourg a jugé, dans un arrêt du 24 juin 2003, qu’il « existe une catégorie de faits historiques clairement établis [...] dont la négation ou la révision se verrait soustraite par l’article 17 [sur l’abus de droit] à la protection de l’article 10 ». La Cour considère ainsi clairement qu’il serait abusif d’utiliser la convention pour obtenir le droit de nier l’existence d’un génocide établi par l’histoire. Même si la décision de 2003 faisait référence à l’Holocauste, son application peut indéniablement être transposée à la négation d’autres génocides, tel le génocide arménien, s’ils constituent également un fait clairement établi.
Du reste, l’exposé des motifs de la motion présentée par M. Sueur – vous le voyez, je reprends vos arguments mêmes, monsieur le président de la commission des lois – montre que la pénalisation du négationnisme résultant de la proposition de loi n’est pas constitutionnellement ou conventionnellement injustifiée. Il précise en effet que « le négationnisme constitue une atteinte odieuse à la mémoire des disparus et à la dignité des victimes ». Dans ce cas, monsieur Sueur, comment pouvez-vous prétendre qu’il ne faut pas le sanctionner ?