Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 23 janvier 2012 à 15h00
Répression de la contestation de l'existence des génocides — Exception d'irrecevabilité

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Le génocide arménien a-t-il existé ? La réponse est oui !

La discussion de cette proposition de loi doit-elle se poursuivre ? La réponse est non !

Qui peut nier l’existence du drame vécu par un si vieux peuple, puisant ses racines et sa culture dans les tréfonds de l’Histoire et dont les deux tiers de la population ont été anéantis lors du génocide ?

Qui pourrait douter de la volonté d’extermination, d’anéantissement et de déportation de tout un peuple ?

Comment ne pas s’associer aux souffrances encore vivaces des descendants de ceux qui ont échappé aux massacres, surtout lorsqu’on se souvient qu’ils ont tant apporté à la France, non seulement par leur travail, mais encore en la défendant les armes à la main dans des temps difficiles ?

Mes chers collègues, je vous invite à relire la lettre de Manouchian à sa femme avant son exécution…

Mais qui parmi vous a rencontré une seule personne ayant remis en cause publiquement la réalité de ce génocide au point de le pousser à vouloir, en soutenant la proposition de loi, traduire devant les tribunaux ceux qui pourraient en contester l’existence ?

Ce débat ne saurait se poursuivre parce que cette proposition de loi est indubitablement contraire à la Constitution.

Je me contenterai de rappeler les arguments que le rapporteur a présentés.

La proposition de loi méconnaît la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En entraînant le Parlement au-delà de sa compétence législative pour l’ériger en tribunal de l’Histoire mondiale, elle porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Elle porte atteinte, en outre, au principe de la liberté de la recherche historique.

Ces principes constituent autant d’obstacles à la proclamation d’une vérité officielle, laquelle serait en l’occurrence inacceptable faute de pouvoir se fonder sur une légitimité analogue à celle tirée du tribunal de Nuremberg.

Imaginons ce qui se produirait demain si, ce débat se poursuivant, la proposition de loi était finalement adoptée. Un vrai problème se poserait puisque les deux principaux groupes politiques du Parlement, pour des raisons fort éloignées de considérations juridiques, s’abstiendraient d’un commun accord de saisir le Conseil constitutionnel. Certes, la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 n’a pas non plus été déférée au Conseil constitutionnel ; mais c’est parce qu’elle était dépourvue de portée normative et recueillait l’approbation de tout le monde. Seule demeurerait donc l’arme de la question prioritaire de constitutionnalité.

À ce propos, je vous rappelle qu’en commission certains collègues ont refusé de soutenir la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité pour des motifs non de fond, mais d’opportunité : ils ont considéré que le dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité par un « négateur » pourrait être l’occasion d’un examen par le Conseil constitutionnel de la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

En effet, comme l’a souligné le président Badinter, la présente proposition de loi s’enracine dans la loi du 29 janvier 2001 – ce n’est pas ce qu’a dit M. le ministre, lequel a prétendu qu’elle lui donnerait plus de force juridique.

Au-delà de la satisfaction purement intellectuelle, on mesure les dégâts que provoquerait l’annulation de ces deux lois, la déception, l’humiliation de la communauté arménienne et la satisfaction de la Turquie, dont les efforts pour perpétuer sa vérité officielle sur le génocide se trouveraient ainsi couronnés de succès.

Mais encore faudrait-il qu’une question prioritaire de constitutionnalité soit posée.

Quelle situation connaîtrions-nous si, à défaut de saisine du Conseil constitutionnel, le juge pénal, à son corps défendant, se trouvait appelé à statuer à l’occasion d’une procédure intentée contre une personne ayant minimisé de manière outrancière les événements de 1915 ? Dans cette hypothèse, que certains juristes ont envisagée, le juge pénal devrait exercer son pouvoir de qualification et, peut-être, estimer qu’un fait ne correspond pas à la définition pénale du génocide… Comment pourrait-on laisser aux tribunaux le soin de trancher des questions qui relèvent seulement de la recherche historique ?

Dans ces conditions, on ne peut que rappeler la conclusion à laquelle est parvenue, en 2008, la commission Accoyer : il vaut mieux, dans un domaine aussi sensible, s’exprimer par la voie de résolutions que par des propositions de loi.

Si un recours prospérait et que nous étions ramenés à la case départ, le vote d’une résolution, aujourd’hui inutile – celui de la loi du 29 janvier 2001 y supplée –, retrouverait sa raison d’être.

La proposition de loi est inutile parce que les moyens juridiques de poursuivre le négationnisme existent. De surcroît, si celle-ci était adoptée, la France donnerait aux magistrats le pouvoir de se substituer aux historiens – un pouvoir qu’aucun pays n’a jugé utile de leur reconnaître.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE votera la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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