Intervention de Jean-Vincent Placé

Réunion du 23 janvier 2012 à 15h00
Répression de la contestation de l'existence des génocides — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-Vincent PlacéJean-Vincent Placé :

« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Cette belle formule est de Montesquieu, qui est à l’origine de la théorie de la séparation des pouvoirs.

Bien que ses intentions soient louables, la proposition de loi introduit une dangereuse confusion des genres.

Le Parlement ne peut légiférer sur tout ; il ne doit se substituer ni au juge ni à l’historien.

L’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 consacre la séparation des pouvoirs en disposant que « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». La séparation des pouvoirs apparaît ainsi comme le corollaire indispensable de la protection des droits naturels de l’homme.

Or, en se prononçant sur les sanctions punissant la négation d’un crime qui n’a pas été défini juridiquement, le Parlement outrepasse ses compétences, laisse place à l’arbitraire et porte atteinte à la liberté d’expression, ainsi qu’à la liberté de la recherche.

Nous l’avons rappelé, en mai 2011, les membres de la commission des lois, au premier rang desquels Jean-Jacques Hyest, expliquaient déjà pourquoi la proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien était entachée d’inconstitutionnalité.

Selon les écologistes, les motifs d’inconstitutionnalité sont réels.

Sans répéter l’ensemble des arguments que Jean-Pierre Sueur a très bien exposés, je veux souligner que la proposition de loi introduit à l’évidence une confusion entre la fonction législative et la fonction judiciaire. Or il est essentiel que le pouvoir de légiférer et celui de juger soient séparés. Les Parlement et le tribunal sont deux instances distinctes et doivent le rester !

De plus, la proposition de loi contrevient au principe de la légalité des délits et des peines. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé que la Constitution impose au législateur « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » afin de prémunir les sujets de droit contre le risque d’arbitraire, « sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ».

En l’espèce, sur quelle base s’appuiera-t-on pour constater l’infraction pénale ?

Ce manque de précision laisse la porte ouverte à toutes les dérives et porte directement atteinte aux droits inaliénables de l’homme, notamment à la liberté d’expression.

D’ailleurs, combattre les idées des révisionnistes sur la place publique en démontrant la faiblesse de leur argumentation est plus efficace qu’imposer une vérité unique au risque d’apporter de l’eau au moulin conspirationniste. C’est toute la force de la démocratie !

À mes yeux, la proposition de loi porte également atteinte au principe de la liberté de la recherche en prévoyant des sanctions pénales contre ceux qui auront « contesté ou minimisé de façon outrancière » l’existence de génocides reconnus par la loi française. Va-t-on condamner les chercheurs qui, sur le fondement de leurs travaux, émettraient des hypothèses quant au nombre des victimes ? Comment être sûr que cela n’arrivera pas ? Et sur quoi s’appuyer pour dire où se situe la vérité ? La validité scientifique d’une recherche ne peut pas être appréciée par le législateur.

Comme le disait Pierre Vidal-Naquet, « dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique ».

Pour toutes ces raisons, les écologistes pensent que la proposition de loi est inconstitutionnelle et qu’elle porte gravement atteinte aux principes fondamentaux de notre démocratie. En conséquence, ils voteront la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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