C’est vrai ! Mais d’autres ont depuis changé d’avis, qui n’ont pas ce genre d’excuses !
En tout état de cause, et plus sérieusement, je partage ce qu’a dit M. Karoutchi : ce sont toujours les États qui, sur la base des travaux des historiens, portent une reconnaissance officielle de tel ou tel événement historique. Comment, en effet, les historiens, même unanimes, pourraient-ils prendre des décisions ayant des effets juridiques dans les États ? Si les travaux des historiens ont, me semble-t-il, largement prouvé qu’il y a eu un génocide perpétré en 1915 par la Turquie à l’encontre des Arméniens, les États sont les seuls à pouvoir, sur cette base, acter l’existence dudit génocide.
Les arguments développés par M. le rapporteur lorsqu’il a défendu la motion d’irrecevabilité ne manquent pas d’une certaine pertinence, au moins sur deux points.
Premièrement, la loi doit-elle être le véhicule de la reconnaissance des génocides par les États ? Pas forcément ! D'ailleurs, lorsque Jacques Chirac, alors Président de la République, a reconnu le rôle de la France dans l’Holocauste, il ne l’a pas fait par la loi : il l’a fait en tant que personne représentant l’État !
Deuxièmement, est-il possible de prendre des dispositions ayant une portée pénale alors que, contrairement à la Shoah, le génocide arménien n’a, hélas ! – c’est un fait – pas été reconnu au niveau international par une cour ou par une autre instance ?
Néanmoins, ces arguments peuvent tout aussi bien être réfutés dans la mesure où ils s’appliquent plus particulièrement à la loi de 2001. Bien évidemment, le législateur peut s’interroger indéfiniment sur ce qu’il vote, mais on ne peut taxer de contraire à la Constitution le fait qu’il tire aujourd'hui des effets d’une loi qu’il a précédemment adoptée !
En ce qui me concerne, et comme la majorité des membres de mon groupe, je voterai contre l’exception d’irrecevabilité. Ce qui l’emporte dans cette position, c’est la reconnaissance que nous devons à nos concitoyens d’origine arménienne, dont beaucoup se sont engagés dans la Résistance, ce que certains, comme le communiste Missak Manouchian, ont payé de leur vie. D'ailleurs, Manouchian et ses amis, ainsi que tous les Arméniens qui ont été contraints de se réfugier en France et qui y ont été accueillis, ont contribué à ce qu’est notre pays : cela, nous le leur devons.
C’est ce qui avait inspiré Guy Ducoloné, premier parlementaire – et c’était un parlementaire communiste – à avoir déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à reconnaître le génocide arménien et à donner à cette reconnaissance une certaine effectivité. D’autres parlementaires communistes, comme Hélène Luc ou Guy Fischer, se sont ensuite engagés dans une semblable démarche. C’est cette inspiration que la majorité de mon groupe veut continuer à faire entendre et c’est pourquoi, en 2005, nous avions déposé une proposition de loi identique à celle dont nous discutons aujourd'hui : nous considérons, nous aussi, que ce que nous votons doit emporter certaines conséquences.
Jusqu’à présent, la France a reconnu la Shoah et le génocide arménien…