J’ai écouté avec attention les arguments défendus par notre collègue Jean-Michel Baylet voilà quelques instants. Je vais tenter de répondre très brièvement à chacun d’entre eux : non, cette proposition de loi n’est pas une loi mémorielle ; non, avec ce texte, le législateur n’intervient aucunement dans le champ de l’histoire ; enfin, il faut minimiser les risques d’inconstitutionnalité de ce texte.
Je ne crois pas, pour reprendre les propos de Serge Klarsfeld, que nous écrivions avec ce texte le « verdict de l’histoire ». Comment peut-on croire que l’intention du législateur est ici de poser une vérité historique officielle ? Si certains, en dehors de cette enceinte, nous prêtent cette intention, c’est qu’ils doutent encore du caractère génocidaire, pourtant incontestable, de l’extermination des Arméniens par l’Empire ottoman en 1915.
Yves Ternon a écrit qu’il n’y avait pas l’ombre d’un doute sur le caractère génocidaire de ces événements. Il n’y a donc pas de controverse historique scientifique possible. En revanche, il subsiste des polémiques nauséabondes à caractère négationniste.
Nous ne sommes pas face à une loi mémorielle visant à établir une vérité historique. Cette proposition de loi condamne les négationnistes du génocide arménien, comme la loi française condamne désormais les négationnistes de la Shoah.
Nous récusons donc l’argument d’une intrusion du législateur dans le champ de l’histoire. Il est au contraire dans son rôle lorsqu’il légifère dans le but de veiller au respect d’une loi, en l’espèce celle de 2001.
Cette proposition de loi, si elle est adoptée, n’empêchera pas les historiens, je l’ai dit tout à l’heure, de poursuivre librement leurs recherches. En revanche, elle permettra de démasquer les faussaires de l’histoire et de les marginaliser.
Concrètement, l’expérience de l’application de la loi Gayssot visant à pénaliser le négationnisme de la Shoah a montré qu’aucun chercheur sérieux n’avait vu sa liberté de recherche entravée par une condamnation pénale.
J’ajoute que l’intention du législateur n’est nullement de porter atteinte à la liberté d’expression. Chacun sait qu’elle a des limites légales. Dans le cas présent, nous veillons bien à prévenir toute incitation à la haine induite inévitablement par les discours négationnistes.
Enfin, je souhaite apporter un éclairage sur les craintes exprimées par certains, craintes que comprend le groupe socialiste, sur la conformité de cette proposition de loi à la Constitution.
Comme le rappelle le professeur Coussirat-Coustère, « une infraction de génocide peut être poursuivie devant le juge pénal national avant même que les faits ne soient qualifiés de génocide par une juridiction internationale ». En effet, la compétence des juridictions pénales internationales est subsidiaire. Il en résulte que la France a compétence pour incriminer les faits en rapport avec un génocide avant même qu’ils ne soient internationalement reconnus par une juridiction pénale. Nous respectons donc, en l’espèce, le domaine de la loi.
De plus, cette proposition de loi modifie la loi de 1881 sur la liberté de la presse et non celle de 2001. L’appréciation laissée au juge sur l’élément intentionnel du négateur écarte le risque de condamnation automatique de l’auteur de la contestation. La proposition de loi est donc conforme au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.
Concernant le risque de voir la loi soumise au Conseil constitutionnel à la suite du dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité – en admettant qu’elle passe le filtre de la Cour de cassation –, je crois bon de rappeler que le Conseil reconnaît au législateur une marge d’appréciation quant au besoin de protéger soit l’ordre public, soit les droits d’autrui, soit des valeurs. Nous sommes bien dans ce cadre puisque le négationnisme porte atteinte à ces trois éléments.
Enfin, au regard de nos engagements internationaux et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la contestation d’un crime international n’est pas protégée par la liberté d’expression.
Quant à la recherche scientifique, elle ne constitue un abus punissable que lorsqu’elle est effectuée à l’aide de méthodes intentionnellement viciées – donc vicieuses –, méthodes qu’utilisent les faussaires négationnistes.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous l’aurez compris, même si le groupe socialiste n’est pas unanime en l’occurrence, …