Dans le cas du génocide arménien, la France ne porte aucune responsabilité.
Ensuite, la loi Gayssot est conforme à la philosophie de la décision-cadre européenne du 28 novembre 2008 : elle reconnaît la Shoah comme génocide et pénalise sa négation parce que la Shoah a été qualifiée de génocide par une juridiction internationale. Il n’y a rien de semblable pour le génocide arménien. Par conséquent, la proposition de loi va plus loin que la décision-cadre européenne.
Enfin, loin de faire pression sur la Turquie, le vote de cette proposition de loi ne ferait qu’exacerber la position intransigeante de l’État turc et bloquer toute évolution vers une reconnaissance du génocide arménien par la Turquie.
Cependant, il y a plus grave que la question arménienne ; je veux parler de la question des principes de portée générale, c'est-à-dire du problème de savoir s’il revient à la loi de qualifier les faits historiques : devons-nous légiférer sur la mémoire ?
Les conclusions de la mission de l’Assemblée nationale sur les lois mémorielles, approuvées par tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale, sont d’une grande clarté : « le Parlement doit désormais renoncer à la loi pour porter une appréciation sur l’histoire ou la qualifier, a fortiori lorsque celles-ci s’accompagnent de sanctions pénales ».
Il faut, en effet, en finir avec les lois visant à écrire l’histoire. Le Parlement n’a aucune légitimité à légiférer sur les événements historiques pour figer l’histoire dans une version officielle et sanctionner pénalement ceux qui la contestent.
En octobre 2008, l’association Liberté pour l’histoire, présidée par l’historien Pierre Nora, avait lancé un appel aux historiens européens ; plus d’un millier d’entre eux l’avaient signé. « L’histoire – proclamait-il – ne doit pas être l’esclave de l’actualité ni s’écrire sous la dictée de mémoires concurrentes. Dans un État libre, il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre la liberté de l’historien sous la menace de sanctions pénales. »
Le vote de cette proposition de loi pourrait ouvrir la voie à la mise en cause de la recherche historique et scientifique par des revendications mémorielles défendues par des groupes particuliers pouvant se porter partie civile, d’autant que le texte vise à pénaliser non seulement la négation du génocide, mais aussi sa « minimisation outrancière », étonnant concept juridique, délit dont le constat ne manquera pas de faire débat parmi les juristes.
Ne nous inscrivons pas sur une ligne qui pourrait amener le Parlement à examiner des textes sur la guerre de Vendée, sur les massacres de la Saint-Barthélemy ou sur l’extermination des aborigènes en Australie. N’oublions pas qu’en 2005 la sanction du Conseil constitutionnel a permis d’éviter que les programmes scolaires ne qualifient de « positif » le rôle de la présence française en outre-mer.