Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi qui nous est soumise est une loi imparfaite quant à sa rédaction et inopportune au regard du contexte international, notamment européen, actuel. C’est pourquoi je m’abstiendrai sur cet article comme sur cette proposition de loi.
Cette loi est imparfaite pour deux raisons.
D’une part, elle nous est présentée comme une loi portant transposition du droit communautaire relatif à la lutte contre le racisme. Mais elle va largement au-delà de ce seul sujet !
D’autre part, elle comporte un risque d’inconstitutionnalité qui a déjà été longuement évoqué.
La séparation des pouvoirs est un principe essentiel que le législateur doit s’imposer seul, sans s’en remettre au contrôle a posteriori du juge constitutionnel. Si le législateur n’est pas dans cet état d’esprit, il alimente le soupçon d’une loi qui ne serait que l’émanation d’un rapport de forces.
Le génocide est le crime le plus odieux qui soit : le nier, c’est le perpétuer ; en refuser la mémoire, c’est prolonger la souffrance. Le génocide des Arméniens est un fait incontestable ; il a d’ailleurs été à l’origine même de la notion de génocide, qui a vu sa traduction juridique s’appliquer à la Shoah. Une partie des crimes commis ont déjà été jugés par les tribunaux turcs, avant que leur négation ne constitue l’un des éléments fondateurs du régime de Mustafa Kemal Atatürk.
La France, nous dit-on, ne serait pas concernée par le génocide des Arméniens. Il s’agit là d’une curieuse manière de voir les choses, car, dans l’histoire intime de plus de 500 000 Français, l’arrivée en métropole de leurs parents, de leurs aînés est directement liée aux crimes subis par leurs frères, sœurs et parents.
La liberté de la recherche, qui est un principe fondamental, n’a en aucun cas été remise en cause par la loi Gayssot. Face à des faits incontestables, la recherche historique, sa liberté, sa capacité à approfondir tous les aspects de la vérité n’ont rien à craindre d’une loi dont la vocation est de protéger la mémoire des victimes.
La liberté d’expression, quant à elle, est, comme toute liberté, limitée par celle de l’autre. Or le négationnisme est une violation de l’identité et de l’intégrité de la personne : c’est la raison pour laquelle il ne peut être toléré et doit être combattu et poursuivi. À cet égard, les centaines de courriels négationnistes que nous avons reçus ces dernières semaines sont véritablement scandaleux.
Considérant que la loi doit être un outil de cohésion de la société et de la collectivité nationale et qu’il ne peut y avoir d’intégration dans la négation de l’identité de la personne et de ses origines, une loi contre le négationnisme ne me semble pas devoir être, par principe, rejetée, bien au contraire !
Mais, au-delà des réserves juridiques que l’on peut porter sur cette proposition de loi, plusieurs éléments du contexte actuel me semblent devoir nous inciter à la prudence.
Avec à sa tête un Président de la République qui a commis le discours de Dakar, la France n’a aucune légitimité aujourd'hui à donner des leçons à quiconque en matière d’histoire.