« Tout est dit », aurait dit La Bruyère, et l’a été excellemment, mais je souhaite cependant, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenir à ce moment du débat.
Tout le monde connaît mon opposition à l’intervention du Parlement sur la question du génocide arménien. En 2006, je m’étais ainsi opposé à l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée d’une proposition de loi adoptée à l’Assemblée nationale.
Plus récemment, en mai 2011, le Sénat avait, fort justement, adopté l’exception d’irrecevabilité sur une proposition de loi allant déjà en ce sens.
Depuis, cette initiative a été relancée sous couvert de la transposition d’une décision-cadre adoptée par le Conseil européen.
Il suffira donc qu’un crime contre l’humanité ait été reconnu par le législateur pour que sa négation soit ipso facto susceptible de sanction pénale.
Je dois vous dire mon profond malaise à l’égard d’une proposition de loi dont je crains qu’elle ne soit guidée par une logique de court terme et qu’elle ne se révèle gravement préjudiciable à la position de la France.
La politique de mon pays ne se fait pas au prétoire, non plus que devant les tribunaux correctionnels.
Il est par ailleurs souhaitable, comme le recommandait le général de Gaulle, de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays, attitude dont on connaît les conséquences.
L’association de la délicate question de la mémoire et de la souffrance à une démarche législative, qui plus est de nature pénale, est peut-être l’ingrédient le plus dangereux, voire le plus fatal, car elle aboutit à piéger tout le monde, comme certaines interventions ont pu nous en donner l’illustration.
En sollicitant l’homme politique, nous risquons de le grever d’une charge qui ne lui échoit point, celle de se prononcer sur des questions historiques. L’histoire, ce sont avant tout les historiens qui la font, mais ils peuvent aussi la défaire, toute conclusion historique étant relative.
Il ne s’agit pas de contester des faits, ni la douleur des familles et des descendants arméniens, mais je regrette que l’on attribue au législateur une mission qui n’est pas la sienne. Le Parlement n’est pas l’enceinte destinée à valider des conclusions historiques et, corrélativement, à sanctionner tous ceux qui les contesteraient.
Nous ne sommes pas l’instance appropriée. Le Parlement est incompétent pour connaître de cette question. À l’heure où l’on appelle les hommes politiques à l’humilité, à l’heure où l’on fustige leur interventionnisme constant et ambigu, à l’heure où l’on critique l’arrogance des dirigeants, le refus d’adopter cette proposition doit justement être une marque d’humilité de notre part.
Nous conduire sur un terrain où nous ne pourrions qu’être fragiles est un danger. Ayons le courage de ne pas nous y aventurer, car, si nous le faisions, ce serait sous peine de brouiller les rôles ! Je ne crois pas que la société attende cela de nous.
Notre tâche est déjà difficile. N’alourdissons pas les missions, humbles mais néanmoins si importantes et délicates à assurer, du législateur, surtout en l’engageant dans un domaine qui est celui de l’émotion et de la passion.