Ce texte sert-il les intérêts de l’Arménie ? Assurément pas, car il intervient comme un jugement venu de l’extérieur. Aucun peuple ne peut souhaiter se voir dicter son histoire.
Ces dernières années, quelques progrès ont été enregistrés dans le dialogue entre la Turquie et l’Arménie. L’ingérence brutale du législateur français peut mettre à mal cette démarche, voire la condamner durablement. Les réactions violentes du gouvernement turc ne peuvent que susciter notre inquiétude sur l’avenir du dialogue entre les deux pays. Nous devons plutôt prendre en compte l’évolution de l’opinion publique turque sur ce sujet et le rôle positif de certaines élites intellectuelles et des modernistes de progrès qui travaillent justement à une réconciliation.
Cette proposition de loi ne peut qu’affermir la voix des fractions les plus dures et du nationalisme le plus réactionnaire en Turquie. Craignons pour nous l’effet boomerang que nous avons déjà subi par la mise en cause de nos actions en Algérie.
Ce texte sert-il les intérêts de la France ? Assurément pas, car il compromet gravement les chances d’une diplomatie française vigilante et constructive, en partenariat respectueux avec la Turquie. En outre, il ne conditionne en rien nos relations avec l’Arménie. Le Parlement français doit rester à sa juste place : ni juge ni historien, il peut contribuer efficacement à la compréhension et à l’amitié entre les peuples turc et français, ce à quoi s’attache notre groupe d’amitié. En revanche, il ne doit pas interférer avec l’action diplomatique.
Comme je l’ai souligné lors de l’examen de l’article 1er, la politique étrangère ne se définit pas au Parlement : cette responsabilité relève du Gouvernement. En revanche, il nous revient de contrôler cette politique. En l’espèce, je considère que Nicolas Sarkozy fait porter au Parlement une responsabilité qui n’est pas la sienne et que, sur le fond, il sacrifie les chances d’un dialogue avec la Turquie. Pouvons-nous prêter la main à une opération politicienne et renoncer à un dialogue équitable avec la Turquie, ce grand pays qui joue un rôle croissant dans cette région du monde ? Je pense qu’il s’agit d’une erreur grave de politique étrangère et je ne souhaite pas que la Haute Assemblée s’y associe.
Cela a été rappelé, notamment par notre collègue Gaëtan Gorce, la cohésion nationale doit être l’une de nos préoccupations. Notre pays compte nombre de citoyens ou de résidents d’origine arménienne ou turque. Ce serait une faute de réveiller entre eux une hostilité que le vivre ensemble a forcément estompée.
Enfin, je veux souligner que, en s’opposant à l’adoption de ce texte, la commission des lois et son rapporteur défendent non pas la force du droit pour lui-même mais le respect de notre Constitution comme indispensable vigile de nos principes fondamentaux et rempart contre tous les arbitraires.
Pour toutes ces raisons, je voterai contre cette proposition de loi. Certes, je suis consciente que ce n'est pas la position de la majorité de mon groupe, mais c'est aussi l'honneur des parlementaires de pouvoir quelquefois assumer leurs convictions, quitte à être minoritaires. §