Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat, je souhaiterais exprimer à la fois des craintes et des satisfactions.
Les satisfactions tiennent à la qualité de nos échanges aujourd’hui, mais également au fait que les clivages qui se sont opérés ne sont pas habituels.
Dans la plupart des groupes politiques, il y a eu à la fois des adversaires et des partisans de cette proposition de loi. Il est donc important que nous ayons pu, les uns et les autres, nous exprimer librement.
Je suis également satisfait d’avoir pu observer du respect, vis-à-vis de leurs contradicteurs, chez les tenants d’une opinion, à quelques petits dérapages près. Cette attitude s’explique d’autant mieux que personne, dans cet hémicycle, ne nie l’existence du génocide arménien.
En revanche, mes craintes sont de trois ordres.
En premier lieu, je crains que ce texte ne soit inutile - vous me rétorquerez que ce ne serait pas le premier que nous voterions ! -, dans la mesure où il existe déjà, dans notre droit pénal ou notre droit de la responsabilité civile, des dispositions permettant de sanctionner le négationnisme.
En deuxième lieu, j’ai peur que nous ne soyons sur le point d’adopter un texte inconstitutionnel. La plupart des grands juristes, qu’il s’agisse du célèbre doyen Vedel, de Robert Badinter, mais également – pardonnez-moi ce manque de modestie ! – des présidents successifs de la commission des lois du Sénat et de plusieurs de ses membres, estiment qu’il y a plusieurs motifs d’inconstitutionnalité, notamment le non-respect du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et la violation des dispositions de l’article 34 de la Constitution.
Mes chers collègues, gardons à l’esprit que la loi n’est l’expression de la volonté générale que lorsqu’elle respecte la Constitution.
Ma dernière crainte est que cette loi n’ait des connotations dangereuses, et ce pour deux raisons.
J’y vois tout d’abord un risque de contamination : des propositions de loi successives pourraient nous amener à discuter d’autres événements semblables, comme le génocide tzigane, le génocide ukrainien, le génocide au Rwanda ou le génocide tibétain. Savez-vous qu’aujourd’hui même, mes chers collègues, la police chinoise a tiré sur des manifestants tibétains, faisant de nombreux morts dans ce « pays martyr » ?
Ensuite, il est vraisemblable que cette proposition de loi fera l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, que ce soit par lettre collective de soixante députés ou soixante sénateurs ou par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité. À cet égard, je tiens à dire que cette dernière procédure, introduite dans notre droit par la révision constitutionnelle de 2008, constitue un apport considérable pour la défense des libertés.
Mais si le Conseil constitutionnel se rallie aux voix des juristes les plus éminents que j’ai évoqués, nous subirons non seulement l’annulation de la proposition de loi que nous sommes sur le point de voter, mais également la remise en cause de la loi de 2001 puisqu’elles reposent toutes les deux sur le même principe.
Nous ne ferons alors qu’ajouter une détresse supplémentaire au désarroi de nos amis arméniens.
Telles sont les raisons pour lesquelles, personnellement, je voterai contre cette proposition de loi. §