Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 23 janvier 2012 à 15h00
Répression de la contestation de l'existence des génocides — Vote sur l'ensemble

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai dit en début de séance que j’intervenais aujourd’hui non pas en tant que représentant d’un groupe ou d’un parti politique, mais au nom d’une commission, la commission des lois. Or celle-ci a une histoire : elle a toujours défendu, dans la diversité des membres qui la composent et dans des contextes différents, la même position.

Au terme de notre débat, même si les opinions sont partagées, je dois dire que j’ai été frappé, comme beaucoup d’entre vous sans doute, par la qualité des échanges, par l’écoute et par le pluralisme qui s’est exprimé sur toutes les travées, de part et d’autre de l’hémicycle.

Ce qui nous préoccupe vraiment, c’est la loi : ce qu’elle peut dire ou non, ce qu’elle peut faire ou non, ce qu’elle doit dire ou non. Nous devons nous poser cette question : quel est notre champ de compétences ?

Nous sommes intimement persuadés qu’il y a, en l’espèce, de très lourds risques d’inconstitutionnalité. Nous disons cela tout en rappelant l’infini respect dû à la mémoire des Arméniens et de leurs martyrs. Ce n’est pas contradictoire.

Mes chers collègues, nous nous sommes tous écoutés. J’ai entendu les grandes voix qui se sont exprimées de part et d’autre. Le fait que deux anciens présidents du Sénat, notamment, prennent la parole n’est pas anodin, vous en conviendrez. Après avoir suivi l’ensemble du débat, qui a été riche, je n’ai pas de doute sur l’issue du vote. Je répète que la commission est contre cette proposition de loi, pour les raisons que nous avons exposées.

En cet instant, je souhaite simplement que chacun d’entre nous s’interroge : le vote de ce soir va-t-il faire avancer l’histoire ? Va-t-il résoudre les problèmes, permettre de réels progrès diplomatiques, favoriser le rapprochement des peuples, préparer l’avenir ? Va-t-il clore le débat ? Personne ne le pense ici.

Si nous pouvons nous tromper, sur ce point, nous croyons avoir raison. C’est pourquoi nous continuerons, à la commission des lois – mais nous ne sommes pas exclusifs –, à défendre comme une vigie une certaine idée de la loi et, partant, de l’histoire. Nous ne cesserons de dire et de répéter que l’œuvre de mémoire est nécessaire, indispensable, pour les Arméniens comme pour tous les autres.

Dans mon département, il y a eu deux camps où l’on internait les enfants et leurs mères avant de les envoyer vers Drancy et Auschwitz. Je suis, comme tout le monde, hanté par la Shoah, par le génocide arménien, mais aussi par ce qui s’est passé au Rwanda, en Corée, dans nombre d’endroits du monde. Je pourrais continuer la liste, tant elle est longue.

Notre rôle est de défendre le droit, en France, au niveau international, les droits de tous les hommes et de toutes les femmes, sans aucune distinction. Nous devons faire œuvre de mémoire pour tous les martyrs de l’histoire, car, jamais, ils ne doivent être oubliés. Ceux qui prétendent bâtir un avenir rayonnant sur l’amnésie, l’oubli du passé ou la déformation des faits sont des imposteurs. Nous devons, inlassablement, faire œuvre d’histoire, de science, de connaissance. Quelqu’un a dit que les historiens n’étaient pas toujours d’accord. C’est vrai, mais c’est ainsi que progresse le savoir.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui s’est déroulé dans le respect, et c’est sur ce mot que je veux terminer. À notre sens, le vote de ce soir ne clôt pas la discussion ni la controverse, n’apaise pas ce qui doit l’être. Mais nous aurons l’occasion de continuer à travailler ensemble sur toutes ces questions.

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