Intervention de Virginie Klès

Réunion du 8 février 2012 à 14h30
Droit à la protection de la vie privée — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au risque de surprendre, je veux battre en brèche l’opposition souvent avancée entre protection de la vie privée et des libertés publiques et sécurité.

La protection de la vie privée est, me semble-t-il, la première des sécurités à laquelle ont droit 60 millions de Français. La lutte contre la délinquance, que l’on nous présente souvent comme un argument phare pour mettre à mal certaines libertés publiques, ne concerne finalement que quelques dizaines, voire une centaine de milliers de Français.

La liberté d’aller et venir dans le respect de l’anonymat est primordiale. C’est pourquoi je m’élève avec force contre une assertion faussement rassurante : peu importe d’être fiché ou filmé si on ne fait rien de répréhensible ! Si les médecins, les avocats et de nombreuses autres professions sont soumises de façon aussi stricte au secret professionnel, c’est bien parce que l’on estime que certaines choses ne regardent que nous. Et ne parlons même pas du secret de la confession où certaines actions pourtant pénalement répréhensibles peuvent être confiées sous le sceau du secret !

Le respect de la vie privée – je souscris d’ailleurs pleinement à ce qui a été dit jusqu’à présent – est de plus en plus souvent bafoué par la société de consommation et de l’immédiateté, par la prédominance de l’argent et de la finance, par l’envie de gagner toujours plus. Je vais prendre quelques exemples tirés de la vie de tous les jours de M. ou de Mme Tout-le-monde.

J’évoquerai la publicité.

Ce n’est pas seulement internet qui nous inonde de publicités : nos boîtes aux lettres sont remplies de prospectus et les opérateurs de téléphonie multiplient les offres en tous genres et à tout moment de la journée. La plupart d’entre nous savent résister à ces offres permanentes de consommation, mais les plus vulnérables – les personnes âgées ou les jeunes – cèdent aux sirènes de la consommation, du toujours plus. Nous devons les protéger !

Vous connaissez tous sans doute l’autocollant « stop pub ». Quand vous le collez sur votre boîte aux lettres – vous voyez bien que je ne fais pas seulement le procès d’internet –, en général, vous ne recevez plus le journal municipal, le journal de l’intercommunalité ou le journal du département. C’est inacceptable !

Le législateur devrait faire en sorte, Mme Escoffier l’a évoqué, que l’on donne son consentement exprès pour recevoir de la publicité, être démarché par téléphone ou pour que les moteurs de recherche sur internet puissent cerner notre profil. Or, aujourd’hui, en France, c’est le contraire : il faut expressément refuser cette intrusion permanente dans notre vie privée si l’on veut être protégé. Ce n’est pas admissible !

On peut se dire : je ne fais rien de mal, peu m’importe d’être fliqué, fiché, surveillé ou filmé. Or, on peut tout savoir à tout moment. Même si nos actions, nos démarches, nos engagements, nos goûts ne sont pas répréhensibles, on n’a pas forcément envie qu’ils soient connus. Les raisons peuvent être multiples : on peut être fonctionnaire ou militaire et soumis à un devoir de réserve ; on peut exercer une profession médiatiquement exposée ; on peut tout simplement être salarié d’un employeur peu scrupuleux, et il y en a comme l’actualité récente nous l’a montré. On n’a pas toujours envie que notre entourage familial ou professionnel sache que l’on est homosexuel, que l’on a recours à la prostitution – on en pense ce que l’on veut sur le plan moral, mais ce n’est pas encore un délit que je sache ! –, que l’on a telle ou telle maladie. Il est en effet extrêmement difficile quand on est atteint de certaines maladies, même si le diagnostic vital n’est pas en jeu, d’obtenir un crédit auprès d’une banque.

Aujourd’hui, la technologie permet de géolocaliser les personnes, même avec un simple téléphone. Si vous prenez une photo d’une feuille ou d’une fleur, par exemple, on sait à quel endroit vous étiez et à quelle heure. Bien sûr, cela peut parfois être utile, mais sous couvert de cette utilité pour repérer un enfant ou une personne atteinte d’Alzheimer, faut-il établir un principe général ? Faut-il là encore faire une exception au principe du consentement exprès ? Non !

On trouve sans aucun problème sur internet des sociétés – je l’ai fait, et je ne suis pas une spécialiste de l’internet –, qui, sur la base d’un simple SMS envoyé d’un téléphone portable, géolocalisent l’appareil sans vérifier l’origine du SMS. Il faut donc impérativement se référer au principe du consentement exprès, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

On trouve également très facilement sur internet des balises, des micros ou des émetteurs. Cela paraît relever du roman d’espionnage, mais, avec un stylo ou une prise multiple, vous pouvez espionner votre voisin ou votre ennemi intime. Ce n’est pas normal !

On parle beaucoup de fadettes et d’écoutes, y compris de la part de personnes dépositaires de l’autorité publique qui se sont un peu affranchies de la loi. Mais savez-vous qu’il n’est pas nécessaire d’appartenir à la police pour accéder aux fadettes ou à la liste des communications de quelqu’un ? Il vous suffit de connaître le numéro de téléphone portable de votre voisin, son mois et son année de naissance : c’est le code par défaut pour accéder au suivi des consommations. Ce n’est pas normal !

On devrait contraindre les opérateurs de téléphonie mobile à beaucoup plus de confidentialité et de sécurité. D’ailleurs, sur internet, tous ces dispositifs qui sont censés préserver la confidentialité de vos données, autrement dit protéger votre vie privée, s’appellent la sécurité…

Monsieur le ministre, vous seriez sans doute déçu si je n’évoquais pas le fichier à lien fort qui est en cours de création.

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