Intervention de Michel Mercier

Réunion du 8 février 2012 à 14h30
Droit à la protection de la vie privée — Discussion d'une question orale avec débat

Michel Mercier, garde des sceaux :

On peut également regretter que, au nom de l’objectif, certes louable, de simplification de la vie des entreprises, les fichiers ne fassent même plus, dans un grand nombre de cas, l’objet d’une simple déclaration à la CNIL avant leur mise en œuvre. Cela reviendrait à priver la CNIL d’une source précieuse d’informations tout en amenuisant sa capacité à orienter au mieux ses contrôles.

On le voit bien, le projet de règlement proposé par la Commission devra faire l’objet de modifications profondes afin de garantir la meilleure protection de nos concitoyens.

Le second texte proposé par la Commission européenne est un projet de directive relatif au traitement de données à caractère personnel à des fins de prévention et de détection des enquêtes pénales et de poursuite en la matière ou d’exécution de sanctions pénales.

Là encore, nous devons être vigilants pour que les choix opérés ne nuisent pas à l’efficacité des outils mis en œuvre pour prévenir et réprimer les infractions pénales. Je pense en particulier à la distinction entre les différentes catégories de personnes dont les données sont enregistrées – témoins, suspects, etc. – ainsi qu’à la distinction entre les données enregistrées selon leur fiabilité et leur caractère objectif ou non.

Telles sont les préoccupations du gouvernement français dans la négociation de ces deux textes.

Sur le plan national, d’autres évolutions doivent sans nul doute être envisagées. Nous sommes à cet égard attentifs, mesdames, messieurs les sénateurs, aux propositions que vous avez pu formuler.

Concernant la CNIL, il serait certainement nécessaire d’accroître encore ses pouvoirs afin qu’elle puisse réellement peser face aux responsables de traitement les plus puissants. Il ne faut toutefois pas surestimer l’effet dissuasif d’une augmentation du montant des sanctions pécuniaires à l’encontre des personnes ne respectant pas leurs obligations en matière de protection des données personnelles.

Madame Escoffier, monsieur Détraigne, dans votre proposition de loi, vous prévoyez de porter à 600 000 euros le montant de l’amende encourue en cas de manquements réitérés ; la Commission européenne le préconise également. Cependant, l’effet dissuasif d’une telle mesure doit être relativisé. La sanction financière reste l’ultime mesure lorsque les mises en demeure ont échoué. Or ces dernières se révèlent souvent efficaces : 111 mises en demeure ont été adressées par la CNIL en 2010, cependant que seulement quatre sanctions financières ont été prononcées. Je rappelle que la mise en demeure n’est suivie d’aucune sanction lorsque le responsable de traitement se met en conformité en temps utile.

Il est nécessaire de conserver cette échelle de sanctions.

S’agissant de la création d’un droit à l’oubli numérique, que préconise notamment Mme Escoffier, le Gouvernement entend qu’il n’y ait aucune ambiguïté : ce droit à l’oubli n’est certes pas expressément consacré dans notre droit, mais la loi informatique et libertés a prévu des mécanismes, tels le droit d’opposition et le droit de rectification ou d’effacement des données qui concernent une personne, y compris sur internet.

Cette loi permet également à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dont, je le rappelle, les moyens budgétaires ont augmenté, de sanctionner tout responsable de traitement qui méconnaîtrait les droits d’opposition, de rectification et de suppression des personnes sur leurs données personnelles.

Au-delà des pétitions de principe sur la proclamation d’un nouveau droit, il convient surtout d’en rechercher l’effectivité dans le contexte d’internet.

Le projet de règlement rendu public par la Commission européenne confère aux internautes un droit effectif à l’oubli numérique dans l’environnement en ligne, c’est-à-dire le droit à faire effacer les données les concernant s’ils retirent leur consentement et si aucun autre motif légitime ne justifie la conservation de celles-ci. Le Gouvernement veillera à ce que ces dispositions, qui doivent être soutenues, ne se traduisent pas, paradoxalement, par un recul des droits des personnes en dehors de la sphère numérique.

Quant à votre proposition, adoptée par le Sénat, de désigner systématiquement un correspondant à la protection des données au sein des structures, publiques ou privées, qui mettent en œuvre d’importants traitements de données personnelles, elle ne recueille pas, en l’état, l’accord du Gouvernement. Nous estimons que la mise en place de tels correspondants doit demeurer facultative. En effet, le succès des correspondants à la protection des données, prévus par la loi depuis 2004, repose précisément sur le caractère facultatif de leur désignation. Il est seul de nature à favoriser la diffusion de la culture de la protection des données dans un esprit de confiance. La logique de contrainte risquerait d’être contre-productive.

Au-delà de l’évolution de notre droit, je crois aussi fondamental, tout comme vous, madame le sénateur, d’éduquer nos plus jeunes concitoyens à une utilisation responsable d’internet, en les sensibilisant notamment aux dangers liés à l’exposition de soi et d’autrui sur la toile. Je rappelle que la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication fait déjà partie du socle commun de connaissances et de compétences. Elle est sanctionnée par le brevet informatique et internet et permet à chaque élève de faire un usage responsable des technologies de l’information et de la communication.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est devenue, avec le développement spectaculaire du monde numérique, une loi fondamentale pour la protection des droits de nos concitoyens et des libertés publiques. C’est en respectant l’équilibre qu’elle a su trouver entre, d’une part, la protection de la vie privée et, d’autre part, le libre développement du traitement des données que nous ferons face aux défis que représente l’essor de l’outil numérique.

C’est dans cet esprit que le gouvernement français participera activement aux travaux en cours sur le plan européen, travaux auxquels seront bien entendu associés les parlementaires, car c’est probablement à ce niveau que se situe l’essentiel de la bataille pour la protection de ce droit fondamental qu’est le respect de la vie privée de chacun.

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