Intervention de Benoist Apparu

Réunion du 8 février 2012 à 14h30
Lutte contre la prolifération du frelon asiatique — Discussion d'une question orale avec débat

Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez excuser le départ de Nathalie Kosciusko-Morizet, tenue d’assister à un conseil de politique nucléaire réuni par le Président de la République.

Pour traiter du sujet du frelon asiatique, étaient effectivement qualifiés le ministre de l’agriculture, comme l’ont signalé Nicole Bonnefoy ou Claude Bérit-Débat, le ministre de l’écologie, bien évidemment, ou celui de l’intérieur : je m’exprimerai évidemment au nom du Gouvernement, donc en leur nom à tous.

Pour ne pas allonger le débat, je ne reviendrai pas sur l’historique de l’arrivée en France en 2004 du frelon à pattes jaunes et de son expansion sur notre territoire, Nicole Bonnefoy et Pierre Camani l’ont déjà très bien rappelé.

Je me concentrerai sur les impacts de cette espèce exotique envahissante et sur les moyens de lutte qui peuvent être envisagés, en me référant au rapport, que plusieurs d’entre vous ont évoqué, rendu en septembre 2010 par la mission conjointe d’inspection des ministères en charge de l’agriculture, de la santé et de l’écologie, mais aussi de l’excellent rapport du député Martial Saddier sur la filière apicole. Il a été parmi les tout premiers à nous alerter sur cette nouvelle espèce exotique envahissante.

Comme l’a fait Chantal Jouanno, je rappellerai qu’on ne connaît pas d’effet significatif exercé par le frelon à pattes jaunes sur la biodiversité.

Les éventuelles atteintes, souvent envisagées, ne sont pas identifiées comme une menace pour certaines espèces protégées ni pour les grands équilibres écologiques. Elles ne suscitent pas non plus de crainte particulière quant à la survie d’espèces d’insectes autres, évidemment, que l’abeille domestique. Cela ne nous empêche pas d’agir au profit de ces autres populations d’insectes, que ce soit par des politiques ciblées, comme le plan pollinisateur, le plan sur les plantes muscicoles, ou des politiques plus générales, comme la mise en place de la trame verte et bleue ou le plan Écophyto, également cité par Chantal Jouanno. Je rappelle d'ailleurs que le Gouvernement a consacré 140 millions d'euros à ce plan en 2011, ce qui représente un effort très important.

En ce qui concerne les craintes pour la santé publique, une enquête du comité de coordination de toxicovigilance publiée en mars 2009 conclut notamment : « Après une à quatre années pleines de colonisation de certains départements, on peut observer que ce frelon asiatique ne semble pas responsable d’un nombre plus élevé de piqûres qu’à l’accoutumée, et que les envenimations semblent posséder les mêmes caractères de gravité que nos espèces autochtones. »

Des éléments recueillis à la fin de 2011 auprès du médecin qui a rédigé ce texte confirment cette conclusion. Sur les quelque quinze décès consécutifs à des piqûres d’hyménoptères enregistrés chaque année, deux à trois seraient désormais dus au frelon asiatique.

Il existe, en revanche, comme l’ont rappelé Joël Labbé et Catherine Troendle, un problème manifeste dans la filière apicole : le frelon à pattes jaunes est un prédateur bien connu des abeilles domestiques, qu’il chasse devant les ruches. Comme les autres guêpes sociales, y compris les frelons européens, il s’agit d’un chasseur d’insectes qui a besoin de proies pour nourrir ses larves. Or aucune autre espèce d’insectes en France ne constitue pour lui un garde-manger aussi riche qu’une ruche, dont l’effectif représente pour un prédateur d’insectes une source alimentaire permanente sans équivalent.

Il faut noter d’ailleurs que, plus les milieux sont riches en biodiversité, moins les dégâts sont forts sur les ruches. En milieu périurbain, les abeilles représentent jusqu’à 80 % de l’alimentation des frelons, contre 30 % en zone naturelle. En revanche, je signale à Jacqueline Alquier et Pierre Camani que les études n’ont pas permis pour l’instant de mettre en lumière des dégâts particuliers sur les cultures fruitières.

La prédation exercée par ce frelon a donc cristallisé l’exaspération des apiculteurs, déjà confrontés, mais pour d’autres causes notamment évoquées par Nicole Bonnefoy, au dépérissement dramatique de leurs ruchers.

Si le frelon à pattes jaunes se distingue clairement des autres hyménoptères, c’est au regard non pas de la santé des personnes ou de la biodiversité, mais bien de productions agricoles.

En second lieu, j’évoquerai les moyens de lutte contre cette espèce, lesquels sont malheureusement limités à l’heure actuelle, comme l’a rappelé Françoise Férat.

Le piégeage des jeunes reines au printemps soulage les survivantes d’une concurrence agressive, ce qui n’est pas le but recherché. Je rappelle qu’un nid est capable de produire de 200 à 400 fondatrices, qui ne peuvent évidemment pas toutes être piégées. Si les pièges utilisés actuellement détruisent 90 % à 99 % d’autres insectes, 15 pièges font autant de dégâts qu’une colonie de frelons.

La destruction des nids ne peut être généralisée qu’à l’automne, lorsque les arbres ont perdu les feuilles qui les cachent, c'est-à-dire lorsque les fortes prédations sur les abeilles domestiques ont déjà eu lieu et peu avant que le froid de l’hiver n’ait tué les frelons qui occupaient ces nids. Cette opération s’avère donc inutile.

Par conséquent, madame Troendle, en l’état actuel de nos connaissances, ni l’éradication ni même le contrôle de l’expansion du frelon à pattes jaunes ne semblent des perspectives réalistes. Sur le terrain, la protection des biens et des personnes passe donc par des actions ponctuelles.

J’indique à Françoise Férat que scientifiques et techniciens travaillent actuellement à la mise au point de pièges rendus sélectifs grâce à des appâts n’attirant que ces seuls frelons : ils permettront de détruire les frelons à proximité des ruches menacées et là où leur densité pourrait présenter un risque.

Quels sont les moyens juridiques de mettre en œuvre cette protection rapprochée des intérêts légitimes des agriculteurs ?

Tout d’abord, il faut souligner qu’aucune espèce de guêpe ni de frelon ne figure en France parmi les espèces protégées. De ce point de vue, rien ne s’oppose donc juridiquement à la destruction de ces insectes ou de leurs nids, pourvu que les méthodes utilisées n’aient pas d’effets pervers sur d’autres espèces de la biodiversité.

Les interventions sur les nids des services départementaux d’incendie et de secours dans le cadre général prévu contre les hyménoptères ou des entreprises privées sont donc possibles. Selon la nature des risques encourus, leur éventuelle intervention est soit une mission de service public, soit une prestation à titre privé.

En effet, les services départementaux d’incendie et de secours ne sont tenus de procéder qu’aux seules interventions se rattachant directement à leurs missions de service public définies par la loi, c'est-à-dire un danger immédiat pour la population.

Ensuite, je tiens à indiquer à Nicole Bonnefoy et à Jacqueline Alquier que le classement d’une espèce comme nuisible, que ce soit au titre du code de l’environnement ou au titre du code rural, ne crée aucune obligation de financement de la part des pouvoirs publics.

La première possibilité juridique qui a été envisagée, l’inscription comme espèce nuisible au titre du code de l’environnement, est inadaptée, puisqu’elle ne porte que sur les espèces chassables, pour autoriser des moyens de destruction normalement prohibés. Ce cas de figure ne s’applique donc pas au frelon.

La deuxième possibilité envisagée est l’inscription comme espèce exotique envahissante au titre du code de l’environnement : elle n’est pas plus adaptée. Le principal effet de ce classement est d’interdire l’introduction dans le milieu naturel, ce que, bien évidemment, personne ne fait aujourd'hui. Cette mesure n’aurait donc pas plus d’impact que la précédente.

Reste la proposition rappelée par Chantal Jouanno. À cet égard, le député Philippe Folliot a déposé une intéressante proposition de loi visant à rendre le frelon asiatique nuisible au sens de la protection des végétaux. Cela nécessite une modification législative du code rural, comme ce fut le cas en son temps pour le ragondin et le rat musqué. En effet, le frelon asiatique fait, en réalité, plus de dégâts à la filière apicole qu’à la filière fruitière.

Outre que les impacts visés sont essentiellement de l’ordre agricole, cette proposition de modification du code rural présente un intérêt certain, celui de pouvoir s’appuyer très rapidement sur le réseau et l’organisation de terrain mis en place pour la protection des végétaux. Je pense aux services qui s’occupent de santé et de protection des végétaux dans les directions régionales chargées de l’agriculture ainsi qu’aux fédérations de lutte et de défense contre les organismes nuisibles, qui ont une bonne expérience technique et disposent de nombreux personnels sur le terrain.

Enfin, cette proposition est conforme à l’analyse du rapport d’inspection interministérielle, que j’ai déjà cité, qui identifiait le ministère chargé de l’agriculture comme pilote interministériel.

En réponse à une question orale du député Philippe Folliot, Nathalie Kosciusko-Morizet a indiqué, le 21 décembre dernier, que le Gouvernement soutenait cette proposition de loi.

Par une note de service très pédagogique de la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires en date du 15 novembre 2011, le ministère en charge de l’agriculture s’est d’ailleurs engagé, d’une part, à coordonner l’ensemble du dispositif pour ce qui concerne le volet agricole et, d’autre part, à ce que les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt assurent une veille au niveau régional et fournissent une information locale fiable et équilibrée.

Cette information vise en particulier les professionnels de la désinsectisation, les agents communaux, les agriculteurs, en particulier les fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles et les groupements de défense contre les organismes nuisibles, mais également les chasseurs, les pêcheurs, les promeneurs et les associations de protection de la nature. Cette information contredit les rumeurs infondées mentionnées par Jean-Claude Requier.

Conformément aux recommandations du rapport commun aux trois missions d’inspection générale, le ministère chargé de l’écologie poursuit, quant à lui, son soutien financier au Muséum national d’histoire naturelle. Celui-ci travaille à réunir et à valider les données naturalistes relatives à l’expansion de cette espèce en France en s’appuyant, je tiens à le signaler, sur une démarche originale de science participative.

Le Muséum contribue aussi à la recherche de solutions nouvelles, notamment pour l’élaboration d’un piège sélectif, en coordination avec un laboratoire de l’Institut national de la recherche agronomique à Bordeaux, auquel le ministère apporte également son soutien financier.

Ainsi, le ministère chargé de l’écologie donne à la filière apicole les moyens de mieux connaître le frelon à pattes jaunes et de rechercher des solutions pratiques de protection des ruches par la mise au point d’un piège sélectif.

Dans cette affaire, qui a soulevé des craintes certes légitimes mais qui ne sont pas toutes fondées, l’action des pouvoirs publics ne pouvait être limitée au seul examen de dossiers techniques.

Les ministères concernés, en premier lieu desquels le ministère chargé de l’agriculture, ont pris les mesures appropriées pour limiter les nuisances de cette nouvelle espèce, avec laquelle il nous faudra désormais apprendre à cohabiter, comme le signalait Jean-Claude Requier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments de réponse que le Gouvernement souhaitait fournir à l’occasion de ce débat. Je remercie les orateurs pour leurs interventions fortes et légitimes. Le Gouvernement, soyez-en convaincus, sera bien évidemment aux côtés des agriculteurs et de la filière apicole pour défendre nos productions. §

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