Intervention de Claude Jeannerot

Réunion du 15 février 2012 à 14h30
Transport aérien de passagers — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi

Photo de Claude JeannerotClaude Jeannerot, rapporteur :

L’objectif affiché est d’améliorer l’organisation du service et l’information des passagers en cas de grève.

À ce premier délai s’en est ajouté un second, qui concerne les salariés qui ont fait part de leur intention de faire grève ou qui sont en grève : sous peine de sanctions disciplinaires, ceux-ci devront informer leur employeur vingt-quatre heures à l’avance, soit de leur renoncement à faire grève, soit de leur volonté de reprendre le travail.

Cette contrainte supplémentaire m’inspire, vous vous en doutez, les plus vives réserves : non seulement elle porte atteinte à la capacité de libre détermination des salariés, mais en outre, selon les personnes que j’ai auditionnées, elle serait inopérante dans le secteur du transport aérien puisqu’il est impossible, en à peine vingt-quatre heures, de réaffecter des pilotes sur de nouveaux vols ou des agents de maintenance à des tâches qui auraient été annulées préventivement. Par ailleurs, si l’on pousse la logique de ce mécanisme à son terme, il pourrait conduire des salariés à poursuivre un mouvement de grève une journée de plus de manière purement artificielle. En effet, un salarié qui renoncerait à faire grève le soir ne pourrait pas reprendre son service le lendemain matin, car il s’exposerait alors, tout autant que s’il avait fait grève sans déposer de déclaration d’intention, à une sanction disciplinaire.

Enfin, l’article 2 organise l’information des passagers. En cas de perturbation liée à une grève, ceux-ci seraient en droit d’obtenir une information « gratuite, précise et fiable » de la part de leur compagnie aérienne, au plus tard vingt-quatre heures avant le début de cette perturbation du trafic.

Je ne peux que constater la faiblesse de ce dispositif par rapport à ce qui est imposé aux salariés. Le droit à l’information des passagers ne s’appliquera qu’en cas de grève, alors que, dans le transport terrestre, il s’applique lors de toutes les perturbations, quelle qu’en soit la cause. En outre, aucune sanction n’est prévue en cas de manquement à cette obligation par l’entreprise de transport.

La proposition de loi comporte également un article permettant la ratification de deux ordonnances relatives au code des transports, dont le lien avec l’objet du présent texte est ténu, ainsi que deux articles, examinés à la va-vite – reconnaissons-le ! – par l’Assemblée nationale et largement perfectibles, qui visent à habiliter les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à contrôler les manquements aux dispositions d’un règlement européen de 2008 concernant le transport aérien.

Je m’arrêterai un instant sur l’article 2 quater, qui vise à compléter la loi du 21 août 2007 pour, nous dit-on, corriger l’une de ses failles.

Comme l’a montré un récent mouvement de grève à la SNCF – dans le département de la Loire, me semble-t-il –, certains syndicats abuseraient du mécanisme de la déclaration d’intention en incitant un grand nombre de salariés à faire une telle déclaration, puis à venir travailler normalement le jour prévu pour la grève. L’entreprise, qui a mis en place son plan de transport adapté en fonction des déclarations d’intention reçues, ne peut pas renforcer son offre de service le jour même. Les salariés perturbent ainsi le trafic sans faire grève. Il est donc proposé de transposer du secteur aérien au secteur terrestre la règle du délai minimum de « dédit » de vingt-quatre heures pour le salarié qui renonce à faire grève ou qui décide de reprendre le travail.

Je comprends évidemment la légitime exaspération des usagers affectés par ce genre de tactique, qui n’est d’ailleurs pas – je le souligne au passage – le fait des grandes organisations syndicales. Toutefois, de telles situations sont aussi, reconnaissons-le, le résultat d’une rupture du dialogue social, qu’il appartient aux protagonistes de surmonter. Or aucune concertation avec les partenaires sociaux n’a précédé le vote de cet article ; c’est d’autant plus regrettable que le législateur ne doit pas céder à l’emportement ni surréagir.

Comme je l’ai déjà souligné, les parallèles avec la loi de 2007 sont nombreux dans cette proposition de loi. Cela signifie que l’on a sous-estimé les spécificités du secteur du transport aérien, qui n’est pas régi par un grand opérateur intégré mais par une chaîne d’intervenants dans laquelle chacun, de l’agent de sûreté au commandant de bord, contribue à la bonne réalisation des vols. Des dizaines de métiers et d’entreprises relevant de plusieurs branches sont concernés. Or, nous le savons tous, le dialogue social y est très inégal et les statuts des salariés sont loin d’être homogènes.

Les auditions que j’ai menées m’ont permis de constater qu’il existe une véritable volonté de développer le dialogue social de la part de certains intervenants patronaux. Néanmoins, si, à Air France, la négociation avec les pilotes est permanente, ce n’est pas forcément le cas chez tous les sous-traitants de l’assistance en escale. L’intervention de grands groupes internationaux dans ces secteurs n’offre pas non plus la garantie que les revendications légitimes des salariés seront satisfaites.

Voilà pourquoi je vois mal comment ce texte apaisera les tensions déplorées actuellement sur les plateformes aéroportuaires. Il risque même d’entraîner l’effet inverse ; j’en ai la certitude. Je crois davantage aux efforts qui doivent être entrepris par tous les acteurs – pouvoirs publics, donneurs d’ordre et employeurs – pour revaloriser le statut, améliorer les conditions de travail et apporter une meilleure reconnaissance à tous ceux dont l’action est parfois invisible ou mal comprise du passager.

Les pilotes, monsieur Emorine, ne sont pas les seuls concernés par ce texte. Pensez aux dizaines de milliers d’employés, souvent peu qualifiés, qui exercent des tâches de manutention et d’entretien et dont la voix risque de devenir inaudible si, du fait des pressions de leur employeur, ils ne peuvent plus défendre leurs droits par la grève.

Est-il seulement besoin de le rappeler, mes chers collègues ? Ce n’est jamais par plaisir qu’un salarié fait grève. C’est son dernier recours en cas de désaccord profond au sein de l’entreprise.

Enfin, je veux rappeler ici que la grande majorité des perturbations du trafic aérien sont liées à des événements climatiques, et non à des conflits sociaux. Elles sont davantage imputables aux cendres d’un volcan islandais ou aux épisodes neigeux exceptionnels qu’aux salariés des entreprises du secteur.

Je m’élève surtout – c’est le fond de mon argumentation – contre la méthode employée pour faire adopter ce texte, à moins de trois semaines de la clôture de la dernière session parlementaire d’un quinquennat pourtant marqué par une hyperactivité législative et une sensibilité exacerbée aux moindres soubresauts de l’actualité.

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