Intervention de Jean-René Lecerf

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délit de mise en danger délibérée de la personne d'autrui — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf :

« La conjoncture faisait apparaître à la faveur de cas, sans doute peu nombreux mais très emblématiques, la mise en cause de la responsabilité pénale de décideurs publics, le plus souvent des maires, à l’occasion d’accidents dont on pouvait dire qu’ils eussent été évités si ces personnes, dans le cadre de leur responsabilité, avaient prévu les conséquences dommageables de telle ou telle situation et avaient en conséquence pris les mesures propres à y remédier ! Un jeune cycliste n’aurait pas fait une chute mortelle sur les falaises de l’île d’Ouessant si le danger de celles-ci avait été convenablement signalé, des enseignants n’auraient pas organisé une promenade scolaire dans le lit d’une petite rivière comme le Drac s’ils avaient prévu le caractère dangereux du site eu égard à l’existence en amont d’une importante retenue d’eau, etc.

« La relative rareté des condamnations alors prononcées pour homicide ou blessures par imprudence n’empêchait pas les professions concernées de les ressentir, compte tenu du caractère moral de toute condamnation pénale, comme injustes parce que procédant d’une vision totalement théorique, voire même artificielle, de leurs activités. Ces activités étaient multiples : maires, détenteurs de pouvoirs exécutifs départementaux ou régionaux, préfets, enseignants, chefs d’entreprise, médecins, organisateurs d’activités sportives à la mer ou à la montagne. Ces personnes sont, par définition, parfaitement conscientes de leurs responsabilités, attentives à éviter tout risque, personnellement affectées par des accidents dont les victimes ont avec eux un lien de garde, de tutelle ou de dépendance. Il n’était dès lors ni nécessaire ni juste de les qualifier de coupables dans des circonstances où le hasard joue en fait le plus grand rôle sans qu’il soit concrètement possible de prévoir où, quand, comment et qui il frappera. Le souci de courir le moins de risques possible décourageait l’initiative. Le principe de précaution n’est pas toujours aussi bienfaisant qu’on le voudrait. C’est ainsi qu’on a vu disparaître les installations de jeu dans bien des cours de récréation. […]

« La question ainsi posée par quelques affaires très médiatisées comme l’accident du Drac ou celui des thermes de Barbotan ne faisait que mettre en lumière le problème, oublié depuis près d’un siècle, de la distinction qu’il convient de faire entre la responsabilité civile générée par la moindre imprudence et la question de savoir si la moindre imprudence, ce que l’on a pu appeler une poussière de faute, peut être qualifiée de délit pénal et conduire en conséquence son auteur, si ténu, si théorique que soit le lien entre sa conduite et le dommage subi par un tiers, sur le banc de la correctionnelle aux côtés de délinquants volontaires poursuivis pour une culpabilité d’une tout autre gravité et, comme eux, en quelque sorte déshonoré. […]

« Il nous apparut que la première mesure à prendre devait tendre à ce que les circonstances particulières dans lesquelles l’auteur du dommage avait agi soient prises en compte, autrement dit, en termes juridiques classiques, que l’appréciation théorique, in abstracto des faits devait faire place à une appréciation réaliste, in concreto. […] Ce fut la loi du 13 mai 1996.

« Ce texte fut accueilli avec un certain scepticisme. Il ne comportait pas l’effet d’affichage qui, seul, intéresse la presse et donc le public. […] J’étais resté convaincu […] de l’urgence de mettre fin à la confusion des fautes civiles et pénales en édictant une définition de la seconde qui la distinguât incontestablement de la première.

« Cette définition ne pouvait être que dans une qualification de la faute d’imprudence la situant à un niveau de gravité supérieur à celui de la faute civile, étant dans la nature des choses que le délit d’imprudence constituant une dérogation au principe général de l’intentionnalité des délits ne puisse être relevé qu’à partir d’un certain degré de gravité. […]

« Un danger apparut immédiatement : celui d’exonérer de leur responsabilité pénale un très grand nombre de responsables d’accidents de la circulation […].

« C’est alors que Jean-Dominique Nuttens, administrateur de la commission des lois – j’ai plaisir à citer un de nos collaborateurs –, qui a joué un rôle très précieux dans tout ce processus, suggéra, pour écarter ces types d’accidents, de prévoir que la nouvelle définition du délit d’imprudence ne s’applique que dans les cas où la relation de causalité entre l’imprudence et le dommage est indirecte.

« Dans le même temps, une autre distinction, de moindre portée, parut convenable, celle entre la responsabilité pénale des personnes morales, dont le principe était posé depuis le nouveau code, et celle des personnes physiques. Autant il paraissait possible pour ces dernières de graduer le degré de gravité, autant cette appréciation était difficile pour les personnes morales compte tenu du caractère diffus et en quelque sorte insaisissable de cette responsabilité. D’autre part, les inconvénients moraux de la délinquance involontaire d’une personne physique ne se retrouvaient pas pour une personne morale qui n’est qu’une fiction insensible, par nature. Il paraissait donc préférable que la loi nouvelle ne bénéficie qu’aux personnes physiques. »

Par cette citation inhabituellement longue, je souhaitais associer Pierre Fauchon à ce débat : voilà qui est fait !

Cela étant, au regard des lois Fauchon, la présente proposition de loi peut sembler paradoxale.

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