Intervention de Michel Mercier

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délit de mise en danger délibérée de la personne d'autrui — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd’hui la proposition de loi relative à la délinquance d’imprudence et à une modification des dispositions de l’article 223-1 du code pénal instituant le délit de « mise en danger délibérée de la personne d’autrui », cosignée par MM. Pierre Fauchon, François Zocchetto et Jean-René Lecerf.

Je voudrais saluer à mon tour le rôle éminent joué par M. Pierre Fauchon, hier au sein de cette assemblée, aujourd’hui au Conseil supérieur de la magistrature, où il se montre particulièrement actif depuis sa nomination par le président du Sénat.

M. le rapporteur a fait de ce texte, l’un des derniers que M. Fauchon ait déposés, une excellente présentation, ce qui me dispensera d’entrer dans les détails. Il a su mettre en évidence ses mérites, mais aussi la nécessité de poursuivre la réflexion.

Cette proposition de loi vise à assurer une répression plus effective de la mise en danger délibérée d’autrui, même lorsque la faute n’a pas eu d’effet dommageable. Elle tend à élargir, à ce titre, le champ d’application de l’article 223-1 du code pénal, relatif aux « risques causés à la personne d’autrui ».

Ce texte a pour objet de compléter les lois du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pour des faits d’imprudence ou de négligence et du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon ».

Ces lois ont permis, je le crois, de trouver un bon équilibre entre une pénalisation excessive des faits non intentionnels et une déresponsabilisation de leurs auteurs qui porterait atteinte au droit des victimes. Elles ont ainsi permis l’abandon des mises en cause systématiques de la responsabilité pénale des maires et autres responsables locaux, et de modifier la définition de la faute non intentionnelle en cas de causalité directe entre le comportement de l’élu et le dommage.

La présente proposition de loi revient sur cet équilibre.

Dans un premier temps, elle ouvre considérablement le champ de la responsabilité pour faute d’imprudence en faisant référence à tous les « règlements », c’est-à-dire à tous les actes qui ne relèvent pas de la seule autorité publique – règlements intérieurs, règles professionnelles, déontologiques, sportives, etc. –, par opposition au « règlement », au singulier, actuellement visé par le code pénal.

Dans un second temps, le texte élargit le champ d’application de l’article 223-1 du code pénal, relatif aux risques causés à la personne d’autrui. Alors que la répression est encore aujourd’hui largement fondée sur l’existence du dommage, la logique ici suivie consiste à prendre davantage en compte la gravité de la faute commise. Les pénalités actuellement prévues par cet article sont conservées : un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

L’équilibre du droit en vigueur repose sur la notion de faute qualifiée. Dès lors que la mise en danger est constituée du seul fait de l’exposition à un risque, c’est-à-dire en l’absence de dommage, le législateur a entendu exiger que soit caractérisée une faute d’une gravité certaine, en l’espèce la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. La démonstration de la violation objective d’une règle est donc requise.

Sanctionner la faute d’imprudence, même grave, en matière de risques causés à autrui, et donc en l’absence de tout dommage, sans qu’une obligation imposée par la loi ou le règlement ait été violée, paraît être en contradiction avec la philosophie même de la loi Fauchon.

En outre, en insérant la notion de « faute d’imprudence grave », la proposition de loi tend à créer, semble-t-il, un nouveau degré intermédiaire de faute, qui se situerait entre la faute d’imprudence simple évoquée au troisième alinéa de l’article 121-3 et les fautes qualifiées visées par le quatrième alinéa du même article. C’est là une source de complexification.

Enfin, une telle extension de l’infraction, même si elle est intellectuellement envisageable, soulève des questions d’opportunité très importantes : cela reviendrait à pénaliser de façon un peu floue le non-respect du principe de précaution.

En effet, un risque se caractérise par le danger, mais également par la probabilité d’occurrence de ce danger. Dans la plupart des cas, les auteurs de mesures de prévention des risques édictent ces dernières tout en connaissant parfaitement les dangers auxquels sont exposées les populations. Un travail d’estimation de la probabilité de survenance du danger conduit néanmoins, parfois, à autoriser une activité ou une construction. Dans ce cas, un expert pourra sans difficultés démontrer que la personne ayant pris la décision connaissait le risque encouru.

Dans le domaine de l’environnement et de l’urbanisme, je prendrai l’exemple des maires, qui ont une obligation générale de sécurité publique en application de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Celui-ci prévoit que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sureté et la salubrité publiques ». À ce titre, les maires doivent notamment prendre les mesures permettant d’éviter les inondations ou les ruptures de digues. Actuellement, cette obligation n’est sanctionnée par le juge administratif qu’en cas de faute lourde ; c’est la responsabilité administrative de la collectivité qui est alors engagée. La proposition de loi tend à permettre de rechercher la responsabilité, désormais pénale, du maire, s’il n’a pas pris les mesures qui s’imposaient, et ce alors même qu’aucun dommage ne s’est ensuivi.

Au-delà de ces questions d’opportunité, la modification envisagée n’apparaît pas de nature à permettre d’atteindre les objectifs évoqués dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.

Il ressort ainsi de l’examen des affaires les plus emblématiques en matière de santé publique ou de risques industriels que la nouvelle rédaction proposée pour l’incrimination de mise en danger de la personne d’autrui n’aurait pas permis un meilleur aboutissement des procédures ayant fait l’objet, ces dernières années, d’une large couverture médiatique, s’agissant par exemple de l’affaire du sang contaminé, de celle des hormones de croissance ou encore de l’affaire AZF, car la problématique portait essentiellement sur la démonstration d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.

Or, ces difficultés relatives à la démonstration d’un lien de causalité entre la faute et le dommage se rencontrent de la même manière en matière de délits de mise en danger de la personne d’autrui : la démonstration d’un lien de causalité entre la faute et le risque causé est également nécessaire.

Lors du colloque organisé au Sénat à l’occasion des dix ans de la loi Fauchon, M. Hyest avait très justement relevé que « si une évolution de la législation devait s’imposer, elle devrait être inspirée par la recherche de l’équilibre le plus satisfaisant entre le souci d’équité et la répression. […] Je pense qu’intégrer le principe de précaution dans notre code pénal représenterait un danger absolu. »

La commission des lois du Sénat a pris acte de l’ensemble de ces difficultés, rappelées par M. le rapporteur, et a jugé utile de poursuivre la réflexion juridique qu’elle mène sur le sujet. Le Gouvernement soutiendra cette sage décision !

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