Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délit de mise en danger délibérée de la personne d'autrui — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’unanimité est faite sur le sort à réserver à ce texte : il est plutôt réjouissant que, pour une fois, le législateur décide de prendre le temps de la réflexion… Même ceux des auteurs de cette proposition de loi qui sont présents dans cet hémicycle se sont finalement ralliés à cette position.

En proposant une nouvelle rédaction tendant à assouplir les conditions d’application de l’article 223-1 du code pénal, jugées trop restrictives, les auteurs du présent texte veulent étendre la notion de « risque causé à autrui » afin de donner aux victimes une meilleure place dans le procès pénal.

En effet, ils regrettent que de nombreuses imprudences graves ne donnent pas lieu à une condamnation pénale, dans la mesure où elles n’ont, de manière certaine, causé aucun dommage.

L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque l’affaire du sang contaminé, qui a débouché sur la relaxe des prévenus du fait de l’absence de lien de causalité certain entre la faute commise et l’infection par le virus du sida, et le drame de l’amiante. L’amiante, qui a déjà provoqué la mort de 25 360 personnes depuis 2004, n’a pas fini de faire des victimes : on estime que 100 000 personnes mourront des suites d’une exposition à l’amiante dans les vingt prochaines années. Il est vrai que de nombreuses associations de victimes ont considéré que la loi du 10 juillet 2000 constituait un obstacle à un procès pénal, les conséquences d’une exposition à l’amiante n’apparaissant que des décennies plus tard.

Comme nous l’avons manifesté clairement à plusieurs reprises, nous soutenons ces victimes. Toutefois, si l’objectif visé au travers de cette proposition de loi est louable, la démarche adoptée peut être dangereuse. De plus, je rejoins ceux de mes collègues qui ont estimé qu’une amende de 15 000 euros ne saurait être une sanction suffisante s’agissant du drame de l’amiante ou d’autres affaires très graves, telles que celles du Mediator ou des prothèses PIP, qui sont également de nature à alimenter notre réflexion.

La solution proposée ici souffre de nombreuses incertitudes quant à son champ d’application, que les développements de la jurisprudence permettront peut-être de lever. Sa mise en œuvre se traduirait certainement par une répression excessive dans certains cas. D’ailleurs, à l’origine, la création du délit de mise en danger d’autrui, modifié par la loi du 10 juillet 2000, traduisait une volonté de réprimer les comportements facteurs de risques graves pour la sécurité d’autrui, notamment en matière de circulation routière ou de sécurité au travail. Or, l’article 223-1 du code pénal a fait l’objet d’applications jurisprudentielles dans des domaines tout autres, telle la pratique du ski hors piste ou du camping… Il importe de délimiter assez strictement les cas visés par ce type de législation.

On perçoit que la mise en œuvre du dispositif de la présente proposition de loi risquerait, en l’état, de donner lieu à de trop larges dérives, de devenir une source d’insécurité juridique et de porter atteinte au principe de la légalité des délits et des peines, qui est une garantie fondamentale des droits de la personne devant les juridictions répressives.

Il convient donc, à notre sens, de poursuivre la réflexion afin d’aboutir à un texte plus achevé. Dans cette perspective, nous voterons la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission.

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