Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délit de mise en danger délibérée de la personne d'autrui — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, onze ans après son adoption, la loi Fauchon a incontestablement permis d’atteindre l’objectif qui lui avait été assigné, à savoir mettre fin à la multiplication des poursuites pénales, notamment contre les autorités publiques, pour des faits non intentionnels.

Le présent texte tend à déplacer le curseur pour la mise en œuvre de la responsabilité pénale pour négligence, en renforçant la sanction par la modification des critères de la mise en danger délibérée d’autrui.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, le délit de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence, prévu par le troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, y compris commis de manière indirecte, repose aujourd’hui essentiellement sur la gravité du dommage survenu. En d’autres termes, une faute grave caractérisée n’emporterait pas nécessairement la mise en cause de la responsabilité de la personne, sous réserve, bien sûr, de sa responsabilité civile.

C’est cette faiblesse que les auteurs de la proposition de loi souhaitent aujourd’hui surmonter, en mettant l’accent sur l’intensité de la faute, même sans dommage, par la modification de la définition du délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

Cette solution est-elle pour autant satisfaisante ? Nous ne le pensons pas, en l’état actuel du texte.

Il est certain que les progrès technologiques engendrent des risques nouveaux, qui étaient inconnus du législateur de 2000, notamment dans les champs industriel ou sanitaire. Cela montre la difficulté qu’il y a à légiférer et à adapter notre droit pénal dans ce domaine particulièrement complexe et mouvant.

M. le rapporteur l’a rappelé, la Cour de cassation a clairement fixé les critères d’application du délit de mise en danger délibérée de la vie d’autrui, imposant aux juges du fond de procéder à une appréciation in concreto très approfondie.

Cette jurisprudence fait consensus au sein de la doctrine, comme en témoignent les travaux du colloque organisé en 2010 à l’occasion du dixième anniversaire de l’adoption de la loi Fauchon. Y porter atteinte de la sorte, sans se livrer à analyse plus poussée, ne nous paraît pas adéquat.

De fait, la création d’une nouvelle hypothèse de mise en jeu du délit défini par l’article 223-1 du code pénal, au titre de la commission d’une faute d’imprudence grave exposant à un risque important et connu, peut entraîner des conséquences très lourdes contraires à la philosophie de la loi Fauchon, qui visait à mettre un frein à la pénalisation des comportements imprudents.

En particulier, nous sommes embarrassés par l’introduction d’une forme de référence à la morale dans l’exposé des motifs du texte, qui amènerait à punir systématiquement tout comportement fautif, même en l’absence de dommage. Nous estimons qu’un tel glissement remettrait en cause la notion d’intentionnalité de l’acte, à rebours de ce que le législateur a construit avec prudence depuis la loi du 13 mai 1996, ainsi que l’importance du lien de causalité qui fonde le droit de la responsabilité.

Plus généralement, devant les progrès de la technique, notre société semble s’être réfugiée dans une aversion au risque qui se traduit par un développement effréné de la judiciarisation des relations sociales. L’adoption de cette proposition de loi, loin de freiner cette tendance de fond, contribuerait au contraire à accroître les contentieux et l’insécurité juridique. Il ne nous paraît pas sain que le prisme pénal prenne une place aussi prépondérante dans la vie en société.

Souvenons-nous des discussions qui avaient entouré l’introduction du principe de précaution dans la Constitution, par la mise en œuvre de la Charte de l’environnement. Notre débat d’aujourd’hui, qui rappelle ceux de 2004, emporte des conséquences de fond plus concrètes. À mes yeux, il serait donc plus sage que le Sénat n’ouvre pas une brèche qu’il serait ensuite bien difficile de colmater.

La commission des lois a longuement discuté de ce texte, en avançant nombre d’arguments pertinents. Elle a unanimement conclu qu’il ne fallait pas toucher au droit existant, et je salue à cet égard l’ouverture d’esprit de M. le rapporteur. Nous voterons le renvoi du texte à la commission, afin de permettre l’approfondissement d’une réflexion inachevée.

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