Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délit de mise en danger délibérée de la personne d'autrui — Renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte est le dernier qu’ait déposé notre ancien collègue Pierre Fauchon, mais ce n’est pas le moins important. Je tiens à remercier M. Fauchon de cette initiative, qui vise à compléter la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, laquelle a permis de résoudre bien des problèmes et dont l’adoption avait été saluée par de nombreux décideurs.

Cela a été rappelé, le point de départ de cette proposition de loi est l’article 223-1 du code pénal, qui définit le délit de mise en danger de la vie d’autrui comme l’infraction consistant à « exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Toutes proportions gardées, un tel délit pourrait avoir été commis, voilà quelques jours, par le commandant d’un navire ayant décidé de dérouter celui-ci, en sachant pertinemment qu’il prenait, ce faisant, un risque important.

Un constat s’impose : aujourd’hui, ce délit fait rarement l’objet de poursuites devant les tribunaux. Cela tient, d’une part, aux conditions posées par le texte que je viens de citer, et, d’autre part, à l’interprétation très stricte qu’a faite de ce dernier la jurisprudence, mais certainement pas, en tout cas, au fait que ce type de délit, caractérisé par la mise en danger délibérée de la vie d’autrui par un comportement irresponsable, serait peu fréquent.

En prévoyant de modifier l’article 223-1 du code pénal, le texte que nous examinons cette après-midi tend à élargir les hypothèses dans lesquelles il serait possible de poursuivre un justiciable sur le fondement de la mise en danger délibérée d’autrui.

Cette proposition part d’un constat simple : ces dernières années, un certain nombre d’événements dramatiques ont donné lieu à de longues procédures judiciaires, au cours desquelles des personnes ont pu se voir reprocher des comportements fautifs graves et délibérés, avant d’être finalement relaxées par le tribunal correctionnel. Ces décisions de justice ont suscité l’incompréhension du public, mais, pour un juriste, elles s’expliquent assez simplement : elles résultent d’une application rigoureuse des règles fixées par notre droit pénal en matière de délinquance d’imprudence.

On peut résumer simplement les exigences posées par les textes en la matière : pour qu’une personne soit condamnée pour un délit non intentionnel, il faut que soient démontrés la faute, le dommage qui en résulte, mais aussi, et peut-être surtout, l’existence d’un lien de causalité certain entre la faute et le dommage.

C’est le défaut de mise en évidence d’un tel lien de causalité qui a pu conduire à des relaxes dans des cas où, par ailleurs, des fautes graves commises en toute connaissance de cause avaient pu être démontrées et prouvées. Aujourd’hui, ces comportements restent donc le plus souvent impunis.

Telle fut l’origine de la réflexion de notre ancien collègue Pierre Fauchon, animé par la conviction que notre droit répressif devrait évoluer vers une conception selon laquelle il importe de s’attacher davantage à la gravité des comportements fautifs qu’à la réalisation du dommage.

Il s’agit en fait de réaffirmer que le plus important devrait être de sanctionner le risque que l’on fait délibérément courir à autrui, indépendamment de sa réalisation effective.

Je rappelle que le principe d’une sanction pénale du risque causé à autrui est inscrit depuis longtemps déjà dans le code pénal, à l’article 223-1. La présente proposition de loi, si elle introduit une innovation importante dans notre droit, s’appuie donc fondamentalement sur des dispositions préexistantes.

Il est important que nous puissions avoir aujourd’hui un débat sur ces questions qui, si elles apparaissent techniques et complexes de prime abord, sont loin d’être seulement théoriques : les affaires récentes du Mediator ou des prothèses mammaires PIP ont été évoquées.

Il ne s’agit évidemment pas de promouvoir un principe de précaution renforcé, dont la mise en œuvre risquerait de conduire à l’inaction ; il s’agit de permettre que des comportements gravement, délibérément et consciemment fautifs puissent faire l’objet de poursuites.

Par conséquent, le groupe UCR souhaite que le débat ait lieu sur cette question fondamentale. Notre droit répressif apparaît en effet aujourd’hui insuffisant sur ce point, et nombre de victimes peuvent avoir le sentiment que justice n’est pas rendue.

Comme l’a justement souligné M. le rapporteur, la réflexion juridique ambitieuse qui sous-tend ce texte doit être approfondie, d’autant que les pénalités aujourd’hui prévues par le code pénal ne semblent pas en rapport avec la gravité des faits en question. La discussion générale vient de montrer que cette opinion était partagée par l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée, puisque leurs porte-parole se sont déclarés favorables à la motion tendant au renvoi du texte à la commission.

Le groupe de l’Union centriste et républicaine veillera donc à ce que la réflexion se poursuive sur cette proposition de loi, au-delà de son renvoi à la commission.

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