Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aborde un sujet sensible, celui du délai dont dispose la victime d’une agression sexuelle pour porter plainte contre son agresseur et faire en sorte que celui-ci soit poursuivi. Ce sujet est d’autant plus sensible que, à la différence des viols et des tentatives de viol, qui constituent des crimes et pour lesquels le délai de prescription de l’action publique est de dix ans, les autres agressions sexuelles constituent des délits pour lesquels le délai de prescription n’est donc que de trois ans.

Si l’on considère, comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, que le « ressenti immédiat » pour la victime et « les symptômes qui surgissent suite à l’agression » sont proches de ce que ressentent les victimes d’un viol, alors que moins de 10 % des victimes de ces agressions déposent plainte dans les trois ans, la question du délai de prescription doit effectivement être soulevée. Pourtant, bien qu’ayant été cosignataire de cette proposition de loi, je pense – et la commission des lois avec moi – qu’il convient d’être prudent avant d’étendre à dix ans le délai de prescription des agressions sexuelles autres que le viol. Pourquoi ?

Depuis une vingtaine d’années, un dispositif complet a été mis en place pour punir sévèrement les auteurs de violences sexuelles. Les peines peuvent ainsi aller de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende pour une agression sexuelle dite « simple » à la réclusion criminelle à perpétuité pour un viol précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie, les peines étant systématiquement aggravées lorsque les violences sexuelles sont commises au sein du couple ou par une personne exerçant une autorité de droit ou de fait sur la victime.

Le législateur a, par ailleurs, entendu prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs. Ainsi, le délai de prescription a été porté à vingt ans pour les viols, les agressions et atteintes sexuelles les plus graves commis sur un mineur et à dix ans pour les autres agressions et atteintes sexuelles, ces délais ne commençant à courir, en outre, qu’à partir de la majorité de la victime.

Cette sévérité des peines prévues par la loi est effectivement appliquée par les juridictions qui sont saisies.

Pour les seuls auteurs majeurs condamnés pour agression sexuelle sans circonstance aggravante, une peine d’emprisonnement est prononcée dans 90 % des cas. Dans 26 % des cas, il s’agit d’une peine d’emprisonnement ferme d’un quantum moyen de 14, 7 mois.

S’agissant des agressions sexuelles commises en réunion, une peine d’emprisonnement est prononcée dans 96 % des cas avec, dans 52 % de ces cas, une peine d’emprisonnement ferme d’un quantum moyen de 17, 7 mois.

Concernant les viols ou tentatives de viol, une peine de réclusion ferme est prononcée dans 97 % des cas avec un quantum moyen de sept ans.

Contrairement à ce que l’on peut imaginer de prime abord quand l’autorité judiciaire requalifie en agression sexuelle – donc passible du tribunal correctionnel – un viol qui normalement devrait relever de la cour d’assises, cette pratique est – paradoxalement – souvent favorable à la victime, notamment lorsque certains des éléments constitutifs du viol paraissent difficiles à établir et que la requalification des faits en agression sexuelle permet alors d’éviter le traumatisme que représenterait une audience criminelle suivie d’un acquittement.

En l’état actuel du droit et de la pratique, notre système judiciaire est donc efficace dans le domaine de la répression des agressions sexuelles qui font l’objet d’une plainte.

Le véritable problème est, en fait, celui du faible taux de dépôt de plainte par les victimes de ces agressions. On estime en effet que seules 9 % des victimes majeures de violences sexuelles hors ménage portent plainte contre leur agresseur et que, lorsque les violences sexuelles sont commises au sein du foyer, le taux de plainte ne dépasserait pas 2 %.

Il y a donc bien une vraie difficulté pour les victimes à porter plainte, et c’est ce à quoi vise à remédier la proposition de loi. Mais faut-il, pour remédier au faible taux de plaintes des victimes d’agressions sexuelles, faire une nouvelle exception à l’échelle existante des durées de prescription ? La commission ne le pense pas.

Il existe déjà – je l’expliquais voilà quelques instants – un certain nombre d’exceptions au délai de trois ans s’agissant notamment des violences sexuelles contre les mineurs puisque le délai est alors de dix ans à compter de la majorité de la victime, voire vingt ans en cas d’agression sexuelle aggravée.

Comme a également eu l’occasion de le rappeler la commission des lois en 2007, dans un rapport établi par trois de nos collègues – Muguette Dini l’a évoqué –, il faut éviter des réformes partielles et préserver le lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription afin de garantir la lisibilité de l’échelle de gravité des crimes et délits.

En portant à dix ans le délai de prescription des seules agressions sexuelles, la proposition de loi instaurerait une discordance entre ces infractions et les autres atteintes volontaires aux personnes, qui continueraient à ne pouvoir être poursuivies que dans un délai de trois ans. Mais le traumatisme subi par la victime de violences physiques ou psychologiques habituelles, ou de menaces de mort réitérées par exemple, est-il significativement différent de celui subi par la victime d’une agression sexuelle autre que le viol ou la tentative de viol ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion