Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur :

En alignant le régime des agressions sexuelles sur celui des viols, ne risquerait-on pas de banaliser les formes les plus graves d’agressions sexuelles – je ne prétends pas que tel est l’objet de la proposition de loi – alors qu’il s’agit de réalités très différentes ?

Il ne faut pas non plus sous-estimer les difficultés probatoires auxquelles seraient confrontées les victimes d’agressions sexuelles qui porteraient plainte plus de trois ans après les faits. En effet, et sans doute plus encore qu’en matière de viol où des certificats médicaux peuvent parfois corroborer les dires de la victime, les agressions sexuelles laissent peu de traces matérielles et les témoignages peuvent paraître moins solides plusieurs années après les faits. C’est donc parole contre parole.

Ainsi, une procédure engagée par la victime d’une agression sexuelle plus de trois ans après les faits risquera très souvent de conduire à un non-lieu ou à une relaxe. De telles décisions pourraient alors être encore plus douloureusement ressenties par les victimes, qui pourraient avoir le sentiment, à l’issue d’une procédure judiciaire longue et complexe, de ne pas être reconnues en tant que telles, alors que c’est aussi ce qui est légitimement recherché au travers de cette proposition de loi.

Si je mets à part les victimes mineures, qui bénéficient déjà d’un régime dérogatoire en matière de prescription, les statistiques montrent par ailleurs que, en moyenne, le délai séparant la date des faits de la date de condamnation définitive de l’auteur est de deux ans et trois mois, ce qui semble indiquer que, lorsqu’elles déposent plainte, les victimes majeures le font dans un délai bien inférieur à trois ans.

En définitive, le véritable enjeu n’est pas tant celui d’allonger le délai laissé à la victime pour parler que de la convaincre de parler et de porter plainte. Il y a là, c’est vrai, un tabou à lever sur les violences faites aux femmes.

Le véritable enjeu est d’inciter les victimes à porter plainte, notamment en luttant contre les idées reçues sur les violences sexuelles – particulièrement lorsqu’elles sont imposées dans le cadre du couple – et contre le sentiment de culpabilité et de solitude souvent ressenti par les victimes. En ce domaine, malgré des progrès certains réalisés au cours des années récentes pour tenter de mieux accueillir les victimes dans les locaux de police ou de gendarmerie où elles ont besoin d’une écoute particulière, beaucoup reste encore à faire.

Monsieur le garde des sceaux, il incombe, me semble-t-il, aux pouvoirs publics de mettre en œuvre l’ensemble des mesures propres à rompre l’isolement des victimes, non seulement en portant une attention toute particulière aux conditions dans lesquelles celles-ci sont reçues et entendues quand elles viennent signaler les faits et déposer plainte, mais aussi en aidant mieux qu’aujourd'hui les associations impliquées dans la lutte contre les violences faites aux femmes, qui jouent un rôle de premier plan dans l’accompagnement des victimes et l’information sur leurs droits. C’est d’abord sur ce plan que des améliorations doivent être apportées. C’est par ce biais, plus que par l’allongement du délai de prescription, que la parole des victimes se libérera.

Pour toutes ces raisons – sans vouloir minimiser le traumatisme auquel sont confrontées les victimes des agressions sexuelles, mais en considérant que la proposition de loi qui nous est soumise n’est probablement pas la meilleure solution –, la commission des lois n’a pas souhaité établir de texte sur la modification du délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles autres que le viol. Elle émet donc un avis défavorable à l’adoption de la proposition de loi qui nous est soumise.

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