Intervention de Michel Mercier

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Rejet d'une proposition de loi

Michel Mercier, garde des sceaux :

Permettez-moi de vous en exposer les raisons.

Du point de vue strictement du droit, ainsi que vient de l’exposer excellemment M. le rapporteur, il faut que les règles soient claires et connues. Le délai de prescription a un caractère d’ordre public ; il est de nature à éviter de plus grands désordres encore que ceux qui ont été initialement causés par la commission de telle ou telle infraction.

Aujourd'hui, le délai de prescription de l’action publique est de dix ans pour les crimes – c’est le cas pour le viol ; il est ramené à trois ans pour les délits, dont font partie les agressions sexuelles. Enfin, les contraventions sont soumises à un délai de prescription d’un an.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, cette répartition connaît des dérogations, notamment en matière d’infractions sexuelles commises sur des mineurs : les délais sont portés à vingt ans pour les crimes ainsi que pour certains délits d’agression ou d’atteinte sexuelles aggravées et à dix ans pour les autres délits.

Cette exception est liée à l’âge de la victime. Il ne s’agit en aucun cas de contester l’importance du traumatisme subi par les victimes majeures. Mais il faut bien comprendre que l’allongement du délai prévu pour les mineurs doit permettre à ceux-ci de dénoncer les faits lorsqu’ils atteignent l’âge adulte et acquièrent la maturité nécessaire pour le faire. Ce n’est donc pas la gravité des faits, mais bien la minorité qui justifie cette exception.

Vous proposez, madame la sénatrice, de créer une nouvelle dérogation, en assimilant l’agression sexuelle au viol et en alignant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles sur celui des viols.

Au préalable, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de souligner que le Gouvernement souhaite véritablement traiter la question des agressions sexuelles. C’est ainsi que, par un projet de loi que je vous ai proposé, vous avez voté la présence de citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels, compétents pour juger les agressions sexuelles. C’est aussi une façon de faire prendre conscience à nos concitoyens de l’ensemble de cette problématique.

Toutefois, modifier le droit de la prescription risque d’entraîner des problèmes de cohérence et d’équité.

Comment pourrions-nous porter à dix ans le délai de prescription de l’action publique pour des agressions sexuelles commises avec violence ou avec menace, alors que celui-ci n’est que de trois ans pour des violences commises par le conjoint et sous la menace d’une arme et ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours ?

De quelle cohérence et de quelle équité le législateur pourrait-il se prévaloir en permettant que le délai de prescription de l’action publique soit identique en cas d’agression sexuelle et en cas d’assassinat ? C’est un problème qu’il nous faut considérer. En effet, on ne saurait poser la question de la prescription sans la traiter dans sa globalité.

Certes, le régime de prescription actuel ne présente peut-être pas une cohérence parfaite – un groupe de travail a d’ailleurs été constitué par M. Hyest –, mais il donne des résultats.

L’allongement du délai de prescription à dix ans résoudra-t-il tous les problèmes ?

Vous l’avez vous-même souligné, madame la sénatrice, l’enquête menée aussi longtemps après la commission des faits se heurte nécessairement au problème de dépérissement des preuves matérielles, faute d’avoir pu procéder à des prélèvements ou des constatations juste après l’agression. On renforce alors d’autant le poids des témoignages de chacune des parties, voire d’éventuels tiers, et les risques de non-lieux sont, de fait, accrus, car c’est alors « parole contre parole », une situation qui est évidemment très douloureuse pour les victimes.

En outre, il apparaît, en pratique, que, lorsqu’elles sont dénoncées, les agressions sexuelles le sont rapidement après les faits. Le délai moyen entre la date de la commission de l’agression et celle de la condamnation définitive est de deux ans et trois mois. En moyenne, les victimes majeures d’agressions sexuelles déposent plainte dans un délai bien inférieur à celui de la prescription délictuelle de trois ans. Cela est confirmé par le taux de classement sans suite pour motifs juridiques. Mais vous me rétorquerez sans doute, madame la sénatrice, que vous vous préoccupez des victimes qui ne déposent pas plainte.

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