Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, l’intention des auteurs de cette proposition de loi apparaît à première vue compréhensible. Elle est fondée sur le constat que la frontière entre viol et agression sexuelle est souvent étroite. Le vécu des victimes est même souvent identique, le traumatisme spécifique engendré par l’un ou l’autre restant trop souvent un tabou douloureux.

Si nous comprenons donc l’objectif de ce texte, nous estimons qu’il s’agit en réalité d’une fausse bonne idée davantage dictée par des réactions passionnelles légitimes que par une démarche juridique appropriée.

Les principes généraux de notre droit pénal reposent sur une stricte hiérarchie des infractions.

Depuis le code d’instruction criminelle de 1808, les règles relatives à la prescription n’ayant été que très peu modifiées, elles conservent une architecture d’ensemble cohérente. Les aménagements introduits ne l’ont été qu’avec beaucoup de circonspection et en tenant compte de la nature particulière de l’infraction concernée : imprescriptibilité des crimes contre l’humanité ; prescription de trente ans pour les crimes de terrorisme ou de trafic de stupéfiants et de vingt ans pour les délits liés aux mêmes infractions.

S’agissant des infractions à caractère sexuel, le législateur est déjà intervenu à plusieurs reprises, cela a été rappelé, pour mieux protéger les victimes mineures, en faisant débuter le délai de prescription à la majorité de celles-ci et en l’allongeant à vingt ans.

Aller plus loin, comme il est proposé par ce texte, en portant à dix ans le délai de prescription des agressions sexuelles poserait en réalité plus de problèmes que cela n’en résoudrait. Il s’agirait pour nous d’une atteinte disproportionnée à la logique d’ensemble du régime des prescriptions. Comme l’écrivaient nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, dans un rapport d’information datant de 2007 précédemment cité, il est fondamental de « préserver le lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription de l’action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires ».

Pour ce qui nous concerne, nous partageons pleinement cette assertion. Or le présent texte s’en écarte de façon regrettable. Selon nous, il conviendrait surtout d’éviter les réformes partielles, qui portent atteinte, pour les magistrats comme pour les justiciables, à la lisibilité de l’appareil répressif.

On le sait, l’allongement à vingt ans du délai de la prescription pour les victimes mineures soulève déjà de nombreuses difficultés. Les progrès de la police scientifique ne suffisent pas toujours à permettre l’exploitation d’éléments matériels anciens, qui, par nature, se dégradent rapidement. De surcroît, les agressions sexuelles laissent moins de traces que les viols. L’accusation ne pourrait alors reposer que sur la crédibilité des témoignages. Repousser la durée de la prescription risquerait, au final, de renforcer le risque d’imprécision des témoignages, sans compter le nouveau traumatisme que constituerait pour la victime la relaxe du prévenu.

Je ne reviendrai pas sur la question de la correctionnalisation des viols, déjà évoquée par M. le rapporteur, lequel a souligné qu’elle était en réalité le plus souvent profitable à la victime.

Mes chers collègues, malgré les difficultés juridiques qu’il soulève, ce texte a du moins le mérite de souligner la spécificité des violences sexuelles et des difficultés que les victimes rencontrent pour se libérer par la parole, a fortiori lorsque ces violences ont été commises par un proche.

La réponse judiciaire participe de la reconstruction des victimes, en permettant de marquer la réprobation de la société face à des actes intolérables. Mais elle ne suffit pas à conjurer le traumatisme. Plutôt que d’une loi très partielle, c’est d’une véritable politique pénale proactive en la matière que notre pays a besoin.

On ne saurait le contester, l’approche pénale prend aujourd’hui mieux en compte l’évolution des mentalités. Par ailleurs, l’invitation à lever les tabous des violences sexuelles est mieux acceptée, même s’il faut, dans ce domaine, se protéger des excès médiatiques habituels. Aussi attendons-nous que des moyens supplémentaires soient mis en œuvre pour faire connaître leurs droits aux victimes, les inciter à porter plainte ou leur permettre d’être mieux prises en charge par des psychologues.

Mes chers collègues, sur proposition de M. le rapporteur, dont il convient de souligner les scrupules juridiques, et afin d’éviter toute improvisation, la commission a décidé de ne pas établir de texte. Elle a fait preuve de sagesse.

Pour ma part, je considère qu’il serait contraire à la nature des choses de confondre les « étreintes brutales » et les « vêtements arrachés », actes souvent douloureux évoqués dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, avec le crime de viol lui-même. Une telle disposition conduirait à bouleverser, par des délais de prescription « à la carte », les principes généraux de notre droit pénal.

Telles sont les raisons essentielles qui conduiront notre groupe à voter contre ce texte.

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