Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Jacques GautierJacques Gautier :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de M. Jean-Jacques Hyest, qu’un léger ennui de santé tient aujourd’hui éloigné de l’hémicycle. Je m’efforcerai d’être son interprète et celui du groupe de l’UMP sur ce sujet, particulièrement délicat, puisqu’il touche à un principe essentiel bénéficiant à toute victime d’agressions sexuelles, selon lequel celle-ci a le droit d’être entendue.

Or tout l’enjeu de cette proposition de loi réside dans la définition des modalités d’application de ce principe. En effet, une telle prérogative, offerte à chaque victime d’agressions sexuelles, recouvre deux objectifs.

Le premier, simple, mais indispensable, est le droit à être écouté et pris en charge par les professionnels de santé.

On constate avec soulagement, cela a été dit, que de nombreuses structures, en particulier associatives, se sont développées depuis plusieurs années pour offrir un soutien psychologique, essentiel à la reconstruction – j’insiste sur ce mot – des victimes de ces violences. Mais cela ne suffit pas, les victimes détenant heureusement le droit à être également entendu par la justice et à participer au déclenchement des poursuites pénales.

C’est ce second volet qui retiendra ici toute notre attention, puisqu’il cristallise l’ensemble des interrogations soulevées aujourd’hui par la proposition de loi. L’objectif visé par ses auteurs est d’allonger le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles autres que le viol, qui passerait ainsi de trois ans, délai de droit commun pour les délits, à dix ans.

Il s’agit donc d’introduire une nouvelle dérogation au délai de prescription défini par le code de procédure pénale. La modification proposée ne constitue en rien une réponse adéquate. En effet, elle ne modifiera pas les constats regrettables que nous sommes amenés à dresser. D’une part, dans le rapport qu’il a établi en 2007, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales rappelle que neuf victimes sur dix ne déposent pas plainte. D’autre part, l’INSEE, dans son enquête sur les violences faites aux femmes, dénonce la durée trop longue qui s’écoule entre le dépôt de la plainte et la date de l’infraction. Allonger le délai de l’action publique ne supprimera pas ce temps de latence. Il est donc primordial de comprendre, avant d’envisager toute modification législative, les raisons qui poussent à une délivrance si tardive.

Car il s’agit bien d’une « délivrance ». Seule la difficulté des victimes à parler rapidement des faits après qu’ils ont été commis justifie l’argument selon lequel le délai de prescription de l’action publique pour cette catégorie de délits est trop bref. En effet, les personnes ayant subi ces agressions sont convaincues, pour de multiples raisons, que leurs révélations ne seraient en rien utiles.

Du point de vue de leur situation personnelle, rien ne peut leur faire oublier l’épisode insupportable qu’elles ont vécu. L’exprimer publiquement ne fait que remémorer des souvenirs particulièrement douloureux. En outre, au regard de leur propre sécurité, la désignation de l’auteur présumé de l’agression leur fait souvent craindre non seulement des représailles, mais aussi une exclusion de la part de leur entourage, ainsi que cela a pu être constaté.

Enfin, l’identification et l’arrestation de l’auteur du délit s’avèrent souvent difficiles, dans la mesure où l’établissement des preuves est toujours délicat, et ce d’autant plus que les faits sont anciens.

Aussi, l’allongement de la durée de prescription de l’action publique ne ferait vraisemblablement qu’atténuer la portée des faits rapportés par la victime. Il serait donc plus raisonnable, j’insiste sur ce point, de mieux prendre en compte la parole des victimes que de remettre en cause les règles de droit commun de la procédure pénale.

Modifier l’article 8 du code de procédure pénale ne servirait pas le droit, madame Dini. Cela reviendrait même à ébranler la classification tripartite des infractions et la nécessaire cohérence du principe de la prescription. En effet, si cette proposition de loi était adoptée, les délais de prescription de l’action publique ne correspondraient plus ni aux délais de prescription de la peine ni aux quanta de peines.

Plus largement, ce texte est l’illustration symptomatique des nombreuses réformes ayant mis à mal, ces dernières années, l’exigence de cohérence et d’équité, pourtant indispensable, de notre dispositif répressif. Ainsi peut-on recenser de nombreuses dérogations au délai de prescription de droit commun de trois ans. Il a été notamment allongé, et c’est très bien ainsi, pour les agressions sexuelles ou les violences commises contre les mineurs ou les personnes vulnérables. En revanche, il a été raccourci, vous le savez, pour les délits de presse. Aussi, la modification du délai de prescription de l’action publique pour la catégorie d’infractions dont il est question aujourd’hui accentuerait le déséquilibre général, qui caractérise déjà, hélas ! notre système.

La situation actuelle du droit de la prescription est devenue source de confusion et d’insécurité, ce qui va à rebours de la vocation fondamentale du principe fondé justement sur le droit de prescription en matière civile et pénale.

L’allongement du délai de prescription romprait le lien existant entre la gravité de l’infraction et le délai de prescription de l’action publique. En effet, la durée de ce délai dépend du degré de gravité de l’infraction commise. Si, en vertu d’une telle logique, la gravité exceptionnelle des délits commis contre les mineurs justifie que le délai commence à courir à leur majorité, le fait de fixer le délai de prescription à dix ans, uniquement pour les agressions sexuelles autres que le viol, engendrerait des situations inégalitaires.

Ainsi, comment justifier qu’une victime puisse se prévaloir, pour des atteintes sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise, d’un délai de prescription de l’action publique de dix ans, alors qu’il n’est que de trois ans, M. le garde des sceaux l’a rappelé, pour des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours et commises par le conjoint avec menace d’une arme ?

Par ailleurs, certains déplorent que les victimes d’agressions sexuelles subissent une correctionnalisation des infractions. Si l’argument est entendu, plusieurs éléments doivent néanmoins être rappelés.

Tout d’abord, la pratique de la correctionnalisation judiciaire est indispensable au fonctionnement de la justice pénale : les cours d’assises sont dans l’incapacité absolue de juger l’ensemble des infractions constituant des crimes aux termes de la loi.

Ensuite, nous avons récemment réduit le nombre de correctionnalisations judiciaires et raccourci les délais d’audience, d’une part, en favorisant l’augmentation du nombre des sessions d’assises et, d’autre part, en diminuant le nombre des jurés composant le jury d’assises, qui passe ainsi de neuf à six jurés lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et de douze à neuf jurés lorsqu’elle statue en appel.

Enfin, dernier élément et non des moindres, les victimes participent nécessairement à la correctionnalisation judiciaire, puisque les articles 186-3 et 469 du code de procédure pénale permettent aux parties civiles de faire appel des ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel, dans le cas où elles estiment que les faits constituent un crime et que leur auteur aurait dû être renvoyé devant la cour d’assises.

En conséquence, ma chère collègue, le texte que nous examinons aujourd’hui constitue bien une pierre de l’édifice d’une réforme globale que nous appelons de nos vœux. D’ailleurs, comme en témoignent les nombreux rapports abordant le sujet, la question de l’allongement des délais de prescription est un problème complexe, qui ne peut être envisagé uniquement pour une seule catégorie d’infractions, aussi graves soient-elles, et ne paraît pas pouvoir être unanimement tranché.

C’est pourquoi, mes chers collègues, le groupe de l’UMP, en accord avec M. le rapporteur et la commission des lois, votera contre cette proposition de loi, même si je comprends et partage l’émotion et l’indignation qu’elle sous-tend.

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