Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 19 janvier 2012 à 15h00
Délai de prescription des agressions sexuelles — Article 1er

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Je ne suis pas membre de la délégation aux droits des femmes, mais j’appartiens, de longue date, à la commission des lois.

Je suis, comme mes collègues de la commission, attachée à la stabilité du droit, à la cohérence de la chaîne pénale et à la hiérarchie des peines, qui est bien évidemment liée au délai de prescription. Je constate toutefois que le législateur, en instaurant récemment les peines planchers, a bouleversé la chaîne pénale sans pour autant revoir la hiérarchie des peines. Il ne faut donc pas qu’il se croie soudain tenu par la nécessité de respecter la cohérence des prescriptions, alors qu’il n’hésite pas, dans certains domaines, à la modifier allègrement.

Cela dit, le droit doit évoluer pour s’adapter à la réalité. Or, dans notre pays – et dans d’autres –, il subsiste un tabou très fort en matière d’agressions sexuelles, dont les victimes sont en majorité des femmes, et qui ont lieu surtout dans la sphère conjugale, intrafamiliale et intrarelationnelle. Le très faible nombre de femmes qui portent plainte en témoigne.

Notre société reste à domination masculine, quoique certains en pensent. Certes, le monde de la justice s’est féminisé, mais, aujourd’hui encore, les décideurs, que ce soit en politique ou dans la justice, sont en majorité des hommes.

Donc, le tabou existe, il n’y a pas de honte à le reconnaître, y compris pour un homme. Il reste un long chemin à parcourir avant que les femmes portent plainte pour les agressions sexuelles qu’elles subissent, surtout lorsque ces dernières sont commises dans la sphère des relations sociales et professionnelles.

Conscient de cette situation, le législateur a voté la loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Cette loi, intéressante, a permis des avancées, même si les moyens consacrés à son application restent insuffisants.

Nous ne pouvons être que favorables au soutien psychologique des victimes, à leur accompagnement pour qu’elles portent plainte. Mais il ne faut pas noyer le poisson : le facteur temps est très important. Il peut s’écouler un temps très long, bien souvent supérieur à trois ans, entre le moment où une femme est agressée et celui où elle a le courage de porter plainte, et ce pour des raisons psychologiques, professionnelles, conjugales ou familiales.

Il ne s’agit pas de banaliser les agressions les plus affreuses, de banaliser le viol, puisque l’on ne propose pas que la peine soit égale. Mais il faut avoir conscience que les femmes victimes d’une agression sexuelle et celles qui ont subi une tentative de viol sont dans des situations psychologiques très proches. Le délai de prescription doit donc être appréhendé de manière similaire.

Il est bien difficile pour une femme, a fortiori pour un juriste, de faire la différence entre une agression sexuelle et une tentative de viol. Alors, faisons confiance aux femmes !

Mes chers collègues, il faut savoir faire acte de courage, même si nous devons veiller à ne pas déséquilibrer la chaîne des peines, laquelle devrait d’ailleurs, selon moi, être entièrement revue. Si nous la révisions, nous pourrions procéder à toutes les adaptations nécessaires.

Pour l’heure, il convient de reconnaître qu’une victime d’agression sexuelle, c’est-à-dire dans la majorité des cas une femme, de par la place de celle-ci dans la sphère familiale, sociale et professionnelle, doit disposer d’un temps plus long pour porter plainte. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre l’amendement de suppression.

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