Toutefois, c’est finalement dans le domaine de la politique étrangère et de défense que la situation de l’Europe est la plus paradoxale.
Tous les sondages montrent que les citoyens européens souhaitent une politique étrangère et une défense communes. Pour peser face aux États-Unis, à la Chine, aux pays émergents, il faut une politique étrangère commune, un outil de défense solidaire. C’est le bon sens. Pourtant, le constat est tout autre : l’Europe s’illustre moins à définir une stratégie de défense commune qu’à fixer la hauteur des cages à poules. Certes, il ne faut pas mésestimer l’importance des cages à poules, mais leur taille ne constitue peut-être pas une question essentielle ! §
De même, elle s’est dotée d’un service européen d’action extérieure. Il paraît même qu’il existe un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité… En 1970, Henry Kissinger lançait son célèbre : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Aujourd’hui, l’Europe a un numéro de téléphone, certes, mais elle n’a toujours pas de politique étrangère.
De ce point de vue, la crise est peut-être une chance pour la construction européenne. Vu l’état de nos finances publiques, nous n’aurons bientôt plus que ce choix : mutualiser nos politiques ou renoncer à en avoir. Il faut espérer que l’Union européenne sortira plus forte de l’épreuve qu’elle traverse.
Aujourd’hui, l’enjeu est de faire renaître un désir d’Europe là où trois décennies de crise économique ont conduit au scepticisme. Il faut renforcer l’efficacité de l’Europe. Monsieur le ministre d’État, vous qui êtes un praticien averti des sommets européens à vingt-sept, ne croyez-vous pas que nous irons, à terme, vers une Europe à géométrie variable ?
Cette Europe unie, plus efficace, mieux intégrée, serait certainement bien utile pour faire face aux défis que pose l’émergence des printemps arabes, afin de favoriser l’enracinement de la liberté et de la démocratie autour de la Méditerranée et sur tout le continent africain.
Lorsque le Président de la République a lancé cette initiative forte de l’Union pour la Méditerranée, combien de commentaires grinçants n’avons-nous entendus ! Et pourtant, qui peut nier aujourd’hui la nécessité de voir s’organiser une véritable concertation, peut-être même un jour une entente, pour tenter d’apporter à cette région du monde les solutions de paix et de développement dont elle a tant besoin ?
Bien sûr, les choses ne vont pas au rythme que nous aurions souhaité. Le conflit du Moyen-Orient est à l’origine de bien des tensions qui demeurent au-delà d’Israël et de la Palestine.
Néanmoins, nous avons été fiers, et la France a connu un bref moment de consensus, lorsque notre pays s’est engagé militairement et diplomatiquement pour sauver les populations de Benghazi du carnage qui leur avait été promis.
Il n’était pas facile d’obtenir un accord sur le principe d’une intervention et d’assurer la cohésion avec nos alliés. Il n’était pas aisé non plus de calmer les inquiétudes des uns et les peurs des autres. Pourtant, monsieur le ministre d’État, vous avez su assurer ces missions, qui ont contribué à l’image de la France autant que le succès des opérations militaires. Notre intervention au bénéfice de la population libyenne nous a préservés de l’élargissement, qui se serait irrémédiablement produit, du fossé entre l’Europe et le monde musulman.
Maintenant, se pose la question de l’après : aux dictateurs corrompus ou sanguinaires des bords de la Méditerranée ont succédé des régimes encore incertains, qu’il va falloir aider. Quel que soit notre jugement sur les majorités sorties des urnes, quelles que soient nos interrogations légitimes sur le respect des libertés, le droit des femmes, la place des religions dans l’État, nous devons faire preuve à la fois de vigilance et de réalisme.
Vous l’avez bien compris en instituant le partenariat de Deauville qu’évoquait le président Carrère et qui marquera, j’en suis sûr, une étape importante dans les relations entre le nord et le sud de la Méditerranée. Au-delà des 40 milliards de dollars mobilisés pour aider la Tunisie et l’Égypte à offrir à leur jeunesse les emplois auxquels celle-ci aspire, c’est surtout une aide à la transition démocratique que nous devons apporter à des pays avec lesquels nous partageons une amitié liée tout autant à la géographie qu’à l’histoire.
Au Maroc, le roi Mohamed VI a su mettre en œuvre les réformes démocratiques nécessaires. Aussi a-t-il assumé, avec une grande habileté, une transition exemplaire vers une monarchie parlementaire et la coexistence avec des partis certes religieux, mais qui semblent respecter les institutions de ce grand pays.
Toutefois, on le voit bien, derrière ces printemps arabes, c’est tout le continent africain qui est entré en résonance. L’Afrique, si souvent laissée pour compte dans les affaires internationales, est en passe de montrer qu’elle va faire irruption dans le débat mondial. On ne pourra pas la cantonner longtemps dans les seules questions du développement et de la coopération. Là aussi, les populations ont compris que leur propre développement passait par des modes de gouvernance plus conformes aux principes de la démocratie.
L’exemple de la Côte d’Ivoire, où la France a su, avec lucidité, apporter son concours pour faire respecter le résultat des élections, devrait être médité au Sénégal, où un vieux lion historique s’accroche vainement au pouvoir. La France, elle, a su renouveler sa politique africaine.
Monsieur le ministre d’État, vous appartenez au premier gouvernement à avoir rendu publics et soumis au Parlement tous nos accords de défense avec les pays africains, au premier gouvernement aussi qui ait associé le Parlement à l’élaboration d’une stratégie d’ensemble de coopération au développement, grâce au ministre chargé de la coopération, Henri de Raincourt.
La France va vivre, ces prochains mois, un moment de démocratie d’une extrême importance. Compte tenu des défis internationaux que notre pays devra affronter, nous espérons que la politique étrangère fera l’objet d’un véritable débat national. Notre groupe abordera ce dernier, au regard du bilan du Président de la République et de son ministre des affaires étrangères, avec confiance et fierté.
Dans des circonstances particulièrement difficiles, la France a su jouer pleinement son rôle en Europe et dans le monde. Le quinquennat qui est devant nous ne risque pas d’être plus calme que le précédent. Dans un monde instable, notre pays aura besoin d’une politique étrangère forte et inspirée. Nous savons que, avec vous et avec le Président de la République, la France saura maintenir le cap.