Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 7 février 2012 à 14h30
Débat de politique étrangère

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Tout d’abord, monsieur le ministre d’État, malgré nos nombreuses divergences, je tiens à saluer votre position sur la loi relative au génocide arménien. En effet, l’Histoire ne saurait être instrumentalisée à des fins bassement politiciennes, surtout lorsqu’il s’agit d’exactions d’une telle portée. Au demeurant, en tant que républicaine, je crois plus à la confrontation des idées qu’au choc des civilisations…

En l’état, le bilan du quinquennat, en politique étrangère comme dans d’autres domaines, n’est pas satisfaisant.

Monsieur le ministre d’État, le 31 janvier 2012, l’Inde a annoncé qu’elle serait susceptible de rééquiper sa flotte aérienne de combat avec le chasseur-bombardier Rafale, et ce à hauteur de 126 appareils. En outre, comme par enchantement, nous apprenons le 3 février 2012 que les Émirats arabes unis seraient proches d’un accord portant sur l’achat de 60 Rafale, retournant soudain une situation très compromise.

Il est vrai que de telles nouvelles détonnent dans une période où la balance commerciale française affiche des performances peu reluisantes, voire calamiteuses. Vous conviendrez que l’année 2011 aura été celle d’un bien triste record en la matière puisque le déficit extérieur se situera vraisemblablement dans une fourchette comprise entre 70 milliards et 75 milliards d’euros.

Toutefois, au-delà de ces simples données comptables, de nombreuses interrogations subsistent.

Tout d’abord, l’Inde a seulement annoncé que nous étions en phase finale de discussion. L’accord n’est donc pas finalisé, et il serait par conséquent prématuré de se réjouir d’un contrat à ce jour virtuel. En ce qui concerne les Émirats arabes unis, la vente serait conclue en mars prochain, sans que plus de détails nous soient donnés. Donc, monsieur le ministre d’État, gare aux annonces non suivies d’effets ! Elles vous ont joué bien des tours par le passé. Je vous rappelle que la confirmation officielle de la commande brésilienne portant sur 36 appareils se fait toujours attendre et que le Président de la République a tenté de vendre quelques avions à M. Kadhafi en 2007 !

De plus, les conditions du contrat de vente restent pour le moins vagues. Combien d’appareils seront fabriqués en France ? Qu’en est-il du transfert des technologies ? Nous ne savons rien de la teneur des négociations. Certes, il semble que la transparence totale dans ce domaine soit impossible. Cependant, l’exigence démocratique appelle une meilleure accessibilité aux informations concernant les tractations industrielles, surtout lorsque ces dernières touchent à la sécurité de notre pays.

Or, s’agissant de ce dossier, nous sommes dans un flou quasi complet. La représentation nationale devrait être associée beaucoup plus en amont à tous les processus de ce type. Vous devriez avoir à cœur, me semble-t-il, de dépasser les seules déclarations tonitruantes de marketing politique, notamment durant les périodes électorales.

Au demeurant, je pense que notre politique étrangère ne devrait pas faire la part si belle aux ventes de matériels militaires. En effet, monsieur le ministre d’État, la promotion du droit humanitaire international et du multilatéralisme devraient être au centre de nos réflexions sur les relations internationales.

Dans ce contexte, notre groupe exprime sa plus vive inquiétude au regard des faits d’une extrême gravité qui se sont déroulés ces derniers jours – et qui menacent sérieusement la paix civile et la démocratie au Sénégal : cinq personnes ont péri de mort violente et l’on compte de nombreux blessés par balles depuis le 27 janvier dernier.

Pourtant, de nombreux signes avaient alerté l’opinion internationale sur les dérives d’un président octogénaire, Abdoulaye Wade, qui détient le pouvoir depuis douze ans et qui cherche à manipuler la constitution sénégalaise pour le conserver plus longtemps encore.

La situation est d’autant plus préoccupante que le scrutin présidentiel du 26 février 2012 approche. Dans un rapport publié jeudi 26 janvier, Amnesty International énumère pour l’année 2011 toute une « série d’attaques contre la liberté d’expression, le recours persistant à la torture par les forces de sécurité et l’impunité dont bénéficient les auteurs de violations ».

La décision du 27 janvier dernier, par laquelle le Conseil constitutionnel a validé la candidature du président sortant et invalidé trois autres candidatures, dont celle de Youssou N’Dour, a mis le feu aux poudres et déclenché la spirale de la violence : des manifestations publiques ont été durement réprimées et des personnalités actives dans le domaine des droits de l’homme ont été inquiétées, avant qu’un manifestant ne soit tué, le 31 janvier dernier, lorsque la police a chargé pour disperser un rassemblement pacifique.

Le Sénégal risque d’être entraîné dans un cycle de brutalités dégénérant en un chaos sans fin. Monsieur le ministre d’État, quelle est votre position face à ce drame prévisible ?

Plus généralement, ne serait-il pas opportun que le Gouvernement use de toute son influence pour soutenir les forces démocratiques et la société civile dans les pays qui exigent la démocratie, ce qu’il n’a pas su faire lorsque le peuple tunisien s’est soulevé contre la dictature ? Cela vaudrait mieux que de revisiter de manière bien hasardeuse et douteuse l’histoire de l’homme africain… Contrairement à ce qu’a dit le Président de la République dans son discours de Dakar, en juillet 2007, l’Afrique est bien entrée dans l’Histoire !

En Syrie, la situation est dramatique. Selon l’Organisation des Nations unies, près de 5 000 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations, en mars 2011. Le Conseil national syrien, qui regroupe la plupart des courants de l’opposition, a affirmé que, dans la seule nuit du samedi 4 février, plus de 260 civils avaient été tués à Homs – ce qui ferait de ce massacre l’un des plus terrifiants depuis le commencement de la révolte contre le régime de Bachar Al-Assad.

Monsieur le ministre d’État, vous conviendrez que l’invitation faite à ce dernier d’assister au défilé du 14 juillet 2008 sur les Champs-Élysées paraît rétrospectivement bien mal inspirée…

Que fait donc la France, de manière concrète, pour contrer les veto chinois et russe au Conseil de sécurité de l’ONU ?

Et que dire de l’Afghanistan, où nos soldats combattent et meurent sans savoir au juste quel est le sens de cette guerre. Pour quel enjeu risquent-ils leur vie ? Où est, en l’occurrence, la cohérence de notre politique extérieure ?

Monsieur le ministre d’État, vous l’aurez compris, ce qui est en cause, c’est le manque désespérant de vision géopolitique d’avenir dont fait preuve cette présidence.

J’en vois, hélas, une illustration dans le peu de publicité dont fait l’objet la Conférence des Nations unies pour le développement durable, également dénommée « Rio+20 », qui se tiendra du 20 au 22 juin 2012. Où en est la préparation de ce sommet ? Quelles sont les propositions de la France dans le domaine de l’économie verte ? Quelles actions innovantes sont entreprises pour éradiquer la pauvreté ? Quel cadre institutionnel est envisagé pour organiser le développement durable ? Que faites-vous pour mobiliser les Français ? Enfin, comment assurer la transition environnementale de nos forces armées et développer des initiatives de génie écologique, tout en répondant à la nécessité de procéder à des interventions rapides, notamment dans le cadre de l’anticipation de conflits ?

Monsieur le ministre d’État, notre pays a besoin de cohérence et d’une vision géopolitique et stratégique de long terme. C’est particulièrement vrai lorsqu’on songe à la montée en puissance des pays émergents. Or la politique menée depuis cinq ans, loin d’apporter des réponses aux inquiétudes des Français, les a amplifiées.

Monsieur le ministre d’État, je veux vous le dire clairement : M. Sarkozy est un problème en matière de politique étrangère… Combien de temps encore sa coûteuse cuistrerie diplomatique va-t-elle nuire à l’image de notre pays ?

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