Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 7 février 2012 à 14h30
Débat de politique étrangère

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la crise que le monde traverse est le symptôme de la mondialisation en cours, que nous peinons quelquefois à maîtriser.

Cette crise a de multiples visages : pour nous, c’est une crise financière ; au sud de la Méditerranée, ce sont les révolutions arabes – qui font aussi partie, selon moi, du processus de la mondialisation.

Face à cette tempête, ou plutôt à ce rapprochement des grands mondes, un constat s’impose : l’Europe est condamnée à exister ; elle n’est plus un idéal à atteindre, mais une nécessité dans tous les domaines. N’est-ce pas grâce à l’intervention massive de la Banque centrale européenne, qui est la plus fédérale de nos institutions, que la crise de la zone euro commence d’être calmée ?

L’Europe doit parler. Elle doit le faire d’une seule voix, d’une voix que l’on écoute et que l’on respecte.

La consolidation de l’édifice européen et la sécurité pour tous les peuples de la Méditerranée passeront nécessairement par l’Europe de la défense – un idéal dont nous sommes loin… L’Europe économique et l’Europe militaire sont les deux faces de la même pièce de monnaie.

Nous le savons tous, nos marges de manœuvre budgétaires sont particulièrement étroites. La crise de nos finances publiques retardera certainement la réalisation de l’objectif, fixé en 2008 par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, de consacrer 300 milliards d’euros aux dépenses militaires à l’horizon 2020. Cela doit nous pousser plus avant dans la construction d’un ministère européen de la défense, le renforcement de l’appareil diplomatique de l’Union européenne et l’approfondissement de nos relations avec l’OTAN.

Au sud de la Méditerranée, un autre monde se met en place. Mais, à l’inverse d’une Europe qui n’a plus le choix, le monde arabo-musulman est à un carrefour : l’islamisme larvé y fait face à des autoritarismes sourds.

Les résultats des dernières élections en Tunisie et au Maroc, pour lesquels j’ai été observateur, sont encourageants. Nous pouvons nous féliciter que les opérations de vote se soient déroulées de façon très démocratique. Mon expérience d’observateur électoral m’a montré la nécessité pour nous d’avoir plus de contacts avec les partis qui représentent l’islam politique, comme Ennahda, les Frères musulmans ou l’AKP de Turquie, qui a une très forte influence intellectuelle dans ce champ de sensibilité. Par le biais de fondations, telle celle que vous dirigez, monsieur Robert Hue, mais aussi, bien sûr, de leurs administrations des affaires étrangères, les pays européens doivent entretenir des relations plus étroites avec tous ceux qui animent ce courant de l’islam politique.

Malheureusement, comme on a pu le constater en Libye, la chute des dictateurs n’a pas fait place à des démocraties conformes à nos standards. L’Égypte est, quant à elle, dans une situation intermédiaire. Quoi qu'il en soit, une inquiétude demeure, que l’on peut mesurer à travers le traitement réservé aux minorités chrétiennes. Dans l’ensemble du monde arabe, en effet, les chrétiens sont rejetés et massacrés : c’est notamment le cas en Irak, au Liban, pour une part, en Égypte et au Nigéria.

L’affrontement que connaît la Syrie entre un islamisme larvé et un autoritarisme sourd s’étendra très certainement aux pays du Golfe, les plaçant à la merci d’une déstabilisation. Le Koweït illustre cette situation, même si le processus se déroule sous une forme démocratique : le Parlement est dominé par les islamistes, les quatre femmes députées n’y siègent plus et la famille régnante est obligée de laisser le pouvoir.

C’est en Syrie, monsieur le ministre d’État, que l’affrontement dont je parle est à l’œuvre de la manière la plus visible. Ce pays, qui compte 20 % de chrétiens, était le seul parmi les pays arabes où Noël était fêté comme les fêtes musulmanes ! Aujourd’hui traversé par une crise sanglante, il a sans aucun doute été la cible d’une déstabilisation wahhabite encouragée par l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Aux troubles il a été répondu par la stupidité et par l’horreur. Monsieur le ministre d’État, vous avez raison : Bachar Al-Assad est un tyran indéfendable. En s’attaquant à son propre peuple, il ne s’est pas comporté en chef d’État responsable et digne d’être écouté. Mais nous savons bien, depuis la fin de l’intervention en Libye, qu’il ne suffit pas de s’opposer à un dictateur pour gagner ses galons de démocrate… Or, pour ce qui concerne nos rapports avec l’opposition syrienne, je me permets de penser, monsieur le ministre d’État, que nous naviguons à vue, sans bien savoir à qui nous nous adressons vraiment.

Interrogeons-nous, dès lors, sur la position de la Russie, laquelle rencontre des problèmes similaires avec ses populations du Caucase : sa position est-elle aussi tranchée et caricaturale qu’on le dit ?

Bien sûr, Assad doit partir. Mais par quoi et par qui son régime et lui-même seront-ils remplacés ? L’aveuglement n’est pas une solution face à l’horreur qui règne et aux périls qui menacent la région. Il ne suffit pas de regarder la Russie avec des yeux effarouchés de démocrates satisfaits !

La Russie est notre partenaire naturel. En juin dernier, lors de la publication de mon rapport d’information « Pour un partenariat stratégique spécifique entre l’Union européenne et la Russie », j’ai rappelé que nous avions intérêt à renforcer nos liens avec la Russie. Nos frontières, nos approvisionnements en gaz et en pétrole, notre défense et notre sécurité sont concernés. La géographie a toujours déterminé une histoire commune entre l’Europe et la Russie.

Certes, les dernières élections législatives ont constitué un scandale au regard du respect des libertés fondamentales, l’exécutif russe cautionnant des tricheries qu’il faut condamner. Pourtant, la Russie change. Alors qu’elle est démocratique depuis seulement vingt ans, cinq candidats se présenteront à l’élection présidentielle du 3 mars prochain. Les clivages politiques entre eux se rapprochent de ceux que l’on connaît dans l’ouest de l’Europe. Enfin, les manifestations qui sont organisées à Moscou et ailleurs sont le signe de l’émergence d’une société civile et de la constitution d’une opinion publique.

Monsieur le ministre d’État, face à cet arc révolutionnaire qui s’étend de Tunis à Moscou, nous avons besoin d’une Europe mieux intégrée, d’une défense commune efficace et d’une diplomatie européenne plus alerte. Surtout, nous avons besoin de la Russie, peut-être autant qu’elle a besoin de nous.

La France a un rôle historique à jouer : elle doit devenir le fer de lance d’une politique étrangère plus adaptée et mieux intégrée, pour que l’Europe puisse faire face aux vagues de la mondialisation qui façonne le monde d’aujourd’hui !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion