Intervention de Alain Juppé

Réunion du 7 février 2012 à 14h30
Débat de politique étrangère

Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes :

Je voudrais maintenant souligner l’ampleur des résultats obtenus lors du Conseil européen du 30 janvier dernier et marquer tout le chemin parcouru dans l’élaboration de la réponse globale à la crise de la dette depuis le premier plan d’aide à la Grèce du mois de mai 2010.

Au cours de ce Conseil ont été conclus deux traités intergouvernementaux essentiels pour parachever les mécanismes de solidarité et de stabilité dans la zone euro.

Le premier d’entre eux vise le mécanisme européen de stabilité. Signé le 2 février, il sera soumis à ratification parlementaire avant la fin du mois. Il crée le fameux et tant attendu pare-feu permanent et pose les bases d’un véritable fonds monétaire européen, avec une capacité effective de prêts de 500 milliards d’euros, qui pourrait être éventuellement renforcée par les reliquats du FESF, le Fonds européen de stabilité financière. Son entrée en vigueur a été avancée au 1er juillet prochain, et les décisions en cas d’urgence se prendront non plus à l’unanimité, mais à une majorité qualifiée fixée à 85 %. C’est, là aussi, une percée très importante. En à peine dix-huit mois, nous avons convaincu l’Allemagne de créer un premier fonds, le FESF, que je viens d’évoquer, puis de faire un saut d’intégration considérable avec ce mécanisme de solidarité permanent pour la zone euro.

Le second traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire a été signé à vingt-cinq. En effet, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Royaume-Uni et la République tchèque n’ont pas souhaité s’y joindre. Ce traité, négocié en à peine deux mois, apporte un réel saut d’intégration économique.

Je voudrais bien insister sur ce point : il comporte trois volets équilibrés, et non pas un seul, comme je l’entends répéter ici ou là.

Le premier volet consiste en la mise en place d’un vrai gouvernement économique de la zone euro, avec des réunions régulières des pays de la zone, un président du Conseil de la zone euro, et des mécanismes de concertation régulière. La prise de décision au sein de la zone euro sera ainsi facilitée, ce qui est bien nécessaire, comme nous avons pu le constater au cours des derniers mois.

Le deuxième volet du traité se compose des règles de responsabilité budgétaire visant à maîtriser l’endettement avec, d’une part, la règle d’or, qui devra être introduite dans les législations nationales, et, d’autre part, des sanctions en cas de non-respect des règles de la discipline budgétaire, mises en œuvre sur l’initiative de la Commission, sauf si une majorité qualifiée s’y oppose au Conseil.

Le troisième volet comprend l’affirmation d’une vraie politique de soutien à la croissance, à la convergence et à la compétitivité ; est prévue la possibilité de recourir à des coopérations renforcées pour parvenir à mettre en œuvre de tels programmes.

Je voudrais souligner deux points.

Ce traité respecte la souveraineté budgétaire et la subsidiarité, car il laisse les autorités nationales responsables de la définition des mécanismes qui assureront le respect de la règle d’or, le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne ne portant que sur la transposition des règles du traité dans le droit interne.

Ce traité assure en outre un contrôle démocratique accru, en associant les parlements au pilotage de la politique économique. Il crée ainsi une conférence des présidents des commissions des finances des parlements nationaux et du Parlement européen, qui seront associés aux mécanismes de la zone euro.

J’y insiste, dans cette réponse globale à la crise en zone euro, évidemment aucun diktat n’a été relevé. Présenter les choses ainsi est une mauvaise caricature. Quelle est la réalité ? Des compromis ont été faits et le moteur franco-allemand a excellemment fonctionné, comme on a pu s’en rendre compte encore hier, à l’occasion du conseil des ministres franco-allemand. Notons également un résultat équilibré, des mécanismes de solidarité devenus permanents, qui sont combinés avec un saut de gouvernance économique, de responsabilité budgétaire et de soutien à la croissance.

Certes, la situation de la Grèce n’est pas stabilisée. L’année 2012 restera très difficile. Elle verra la poursuite de la consolidation de la situation ; tout devra être fait pour stimuler la croissance. Mais nous avons à présent les outils pour nous battre, et rien ne serait plus périlleux, ainsi que l’a souligné Robert del Picchia, que de tout remettre en cause.

Au-delà de ces dispositions juridiques et institutionnelles, il nous revient, bien sûr, de recréer ce désir d’Europe, que Christian Cambon a appelé de ses vœux, ce qui me semble possible. Effectivement, malgré la difficulté de la tâche et la complexité des mécanismes qui ont été mis en œuvre, les opinions publiques européennes se sont bien rendu compte que, dans ce monde extraordinairement turbulent, seule l’Union européenne peut nous apporter un surcroît de stabilité.

Le deuxième grand défi que nous devons relever, c’est, bien évidemment, le printemps arabe, ainsi que l’ont souligné plusieurs orateurs. Cette mutation majeure change complètement la donne dans le proche environnement de nos pays.

Pendant des années, c’est vrai, au nom de la sécurité et de la stabilité, de l’endiguement de l’islamisme djihadiste et de la lutte contre le terrorisme, nous avons soutenu – j’entends par « nous » de nombreux gouvernements et pays – des gouvernements qui ne respectaient pas les droits de l’homme et freinaient le développement de leur pays. D’une certaine manière, c’était admettre que certaines régions du monde ne sont pas faites pour la démocratie.

Par son ampleur, que nul ne pouvait prévoir, pas même vous, monsieur Boulaud, le printemps arabe a balayé des décennies d’immobilisme.

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