Intervention de Alain Juppé

Réunion du 7 février 2012 à 14h30
Débat de politique étrangère

Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes :

Je voudrais aussi affirmer, comme tous nos partenaires qui partagent cette conviction, que nous avons respecté l’esprit et la lettre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est nous faire une mauvaise querelle que de nous accuser d’avoir déformé le principe de la responsabilité de protéger. J’ai été très attentif au développement que M. le président de la commission des affaires étrangères a fait sur ce point.

Posé en 2005, ce principe affirme, je le rappelle, la responsabilité de chaque gouvernement de protéger ses propres populations contre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité et donne le droit à la communauté internationale de se substituer à un gouvernement qui ne serait pas à la hauteur de cette mission.

À mon sens, ce principe, même s’il fait aujourd'hui l’objet de critiques, de remises en cause, de demandes de réexamen, notamment par un certain nombre de pays émergents, doit rester pour nous une ligne de force de l’action internationale.

J’écoute toujours avec beaucoup d’intérêt et de respect les interventions de M. Chevènement. Mais la fresque qu’il a dressée aujourd'hui de la situation en Lybie est caricaturale. À l’entendre, je me suis demandé si nous n’aurions pas mieux fait de rester inertes et de laisser M. Kadhafi continuer à réprimer le peuple libyen.

Pour ma part, je fais confiance aux nouvelles autorités libyennes. Certes, leur tâche est extrêmement difficile. Je me suis rendu en Lybie voilà quelques semaines encore. J’y ai rencontré le président Moustafa Abdel Jalil et le nouveau Premier ministre, M. Abderrahim Al-Kib, qui m’a fait une bonne impression ; c’est un homme sage et déterminé.

Bien sûr qu’il y a des tensions ! Bien sûr que les factions ne sont pas encore toutes réunifiées ! Bien sûr qu’il y a encore des milices disposant d’armes ! Mais je crois que la volonté des autorités libyennes, comme du peuple libyen, est de respecter la feuille de route politique qu’elles ont fixée. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt une déclaration récente du président Moustafa Abdel Jalil dans laquelle il se réclamait, selon ses propres termes, d’un « islam modéré ».

Et, monsieur Chevènement, le fait que la charia soit invoquée par les nouvelles autorités libyennes peut nous déranger, mais je vous ferai observer que c’est aussi le cas dans nombre de pays arabes avec lesquels nous continuons à entretenir des relations privilégiées.

Quoi qu’il en soit, je le répète, c’est l’obstination du colonel Kadhafi qui a mené au résultat que nous connaissons. S’il avait accepté les propositions de règlement politique qui lui ont été adressées à plusieurs reprises, y compris par la coalition, nous n’aurions pas été obligés d’aller jusqu’au bout du chemin et de le débusquer dans son dernier repère de Misrata.

Je veux également vous répondre à propos de la Syrie. On ne peut pas renvoyer dos à dos le gouvernement en place et ceux que certains, notamment les Russes, appellent les « terroristes ». On ne peut pas tout mettre sur le même plan !

D’un côté, nous avons un régime qui a du sang sur les mains et qui se livre à une répression parmi les plus sauvages observées depuis longtemps. J’ai cité les chiffres au Conseil de sécurité, ils sont connus et validés par les Nations unies. On relève 6 000 morts, dont près de 400 enfants assassinés. La torture est pratiquée. On dénombre également 15 000 prisonniers dans les geôles syriennes.

De l’autre, nous avons une grande partie de la population qui se bat à mains nues, notamment à Homs. Il est vrai que, ici ou là, des milices commencent à s’armer pour protéger les populations civiles. Mais on ne peut pas mettre les deux attitudes sur le même plan.

Vous le savez, la France est depuis des mois à la pointe du combat international pour faire cesser les violences.

Si je me suis rendu à New York assister à une séance du Conseil de sécurité des Nations unies consacrée à la Syrie, c’est pour convaincre quelques États encore réticents de mettre un terme à ce que j’ai qualifié de silence « scandaleux » : la situation en Syrie ne cesse de se détériorer et le Conseil de sécurité doit jouer pleinement son rôle.

La France a donc été à l’initiative de onze trains de sanctions imposées par l’Union européenne à l’encontre du régime et de ses protagonistes. J’ai également entretenu – je continue à en entretenir – des contacts réguliers avec l’opposition pacifique pour l’aider à poursuivre ses efforts d’unification, notamment en intégrant mieux la diversité syrienne, c'est-à-dire les minorités religieuses et ethniques. Je salue le travail du Conseil national syrien, qui est pour nous un interlocuteur légitime. Je veux surtout rendre hommage au courage extraordinaire du peuple syrien.

Comme je l’ai indiqué, la France a tout fait pour obtenir une résolution du Conseil de sécurité. Je suis allé moi-même plaider en ce sens à New York avec plusieurs de nos partenaires.

Nous étions parvenus à un texte qui aurait pu obtenir un accord général au Conseil, parce que nous avions accepté un certain nombre de concessions, afin d’entraîner le vote russe. Il n’y avait ni référence au chapitre VII de la Charte des Nations unies, ni embargo sur les armes, ni menace de sanctions. Il était inscrit noir sur blanc dans le projet de résolution qu’il n’y aurait pas d’option militaire, afin de ne pas fournir de prétexte à certains, comme cela avait pu se produire lors la résolution 1973. Nous nous cantonnions donc à une condamnation morale de la répression – c’est bien le minimum – et à un soutien au plan de règlement politique du conflit présenté par la Ligue arabe.

Mais la Russie et la Chine ont finalement fait le choix d’émettre un veto, prenant ainsi une très lourde responsabilité devant l’Histoire, à un moment où le régime de Damas est dans une fuite en avant criminelle et menace tout le peuple syrien.

Néanmoins, nous ne nous résolvons pas à l’impuissance. Nous ne baissons pas les bras ; je le dis à Jean-Michel Baylet, qui nous a invités à poursuivre le combat. Nous ne relâcherons pas la pression sur Bachar Al Assad. Dès l’annonce du veto, le Président de la République a proposé la constitution d’un groupe des amis du peuple syrien rassemblant tous ceux qui, au sein de la communauté internationale, considèrent la situation actuelle inacceptable et veulent continuer à apporter leur soutien à l’initiative de la Ligue arabe.

Je le rappelle, sur ce projet de résolution, nous avons obtenu au Conseil de sécurité treize voix sur quinze, y compris celles de l’Inde ou de l’Afrique du Sud, dans un premier temps réticentes.

Nous voulons donc garder ce momentum, associer les pays que je viens de mentionner, les pays de l’Union européenne, ainsi que tous les pays qui voudront se joindre aux efforts de la Ligue arabe pour accentuer la pression non seulement sur ceux qui continuent à mettre leur veto, mais aussi sur le pouvoir syrien lui-même.

Le régime syrien ne doit pas se tromper : il est isolé et discrédité au plan international ; ses jours sont comptés et le veto à New York n’est pas un blanc-seing pour continuer à massacrer le peuple syrien.

Toujours à propos du printemps arabe, j’aimerais répondre à Mme Josette Durrieu sur le processus de paix au Proche-Orient.

Nous n’avons eu de cesse de le répéter, il n’y a pas d’autre solution que les deux États.

Vous le savez, depuis le 3 janvier, la Jordanie a accueilli plusieurs rencontres entre Israéliens et Palestiniens sous l’égide du Quartet. Nous avons soutenu ces efforts pour relancer des pourparlers directs, tout en restant sceptiques sur les chances de réels progrès, et les événements récents ont confirmé notre scepticisme.

Des mesures doivent être prises pour rétablir la confiance et permettre aux Palestiniens de poursuivre les échanges. Dans cet esprit, nous avons demandé à Israël de libérer des prisonniers palestiniens détenus de longue date, sans succès à ce jour.

Par ailleurs, l’intensification de la colonisation porte un coup dur non seulement à la confiance, mais également à la possibilité territoriale de la solution de deux États. Nous avons condamné cette politique, en plein accord avec tous nos partenaires européens.

Je ne peux pas non plus souscrire aux propos de Mme Durrieu sur l’Iran. Il est fallacieux de parler de « deux poids, deux mesures ».

L’Iran a signé et ratifié le traité de non-prolifération des armes nucléaires de son plein gré, contrairement à Israël, à l’Inde et au Pakistan, qui l’ont repoussé ; c’était bien leur droit.

Par conséquent, il est clair que l’Iran viole aujourd'hui ses engagements internationaux. Il bafoue non seulement la lettre et l’esprit du traité de non-prolifération, mais aussi les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, ainsi que les décisions du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale pour l’énergie atomique.

L’argument qui a été avancé ne tient donc pas la route, je le répète.

En plus, l’Iran menace d’extermination et d’éradication un des États de la région, ce qui le place dans une situation assez particulière…

Pour ma part, je n’ai aucun doute quant à la volonté de l’Iran de se doter d’un programme militaire nucléaire. Les rapports de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, que j’ai lus, sont formels sur ce point. On n’enrichit pas l’uranium à 20 %, on n’enfouit pas dans les profondeurs du sol une usine d’enrichissement d’uranium pour faire de l’énergie nucléaire civile…

D’ailleurs, la meilleure manière pour l’Iran de nous faire changer de conviction est simple : venir s’asseoir à la table des négociations, comme nous n’avons de cesse de lui proposer. Cela suppose évidemment que le régime ne pose pas de condition préalable et accepte de discuter de son programme nucléaire, et non de l’air du temps ou de la situation générale de la région… Pour l’instant, l’Iran refuse cette proposition, qui lui a été adressée par Mme Ashton au nom du groupe des Six.

Aussi, et afin d’éviter une option militaire, qui aurait des conséquences irréparables, nous avons choisi d’aller beaucoup plus loin dans les sanctions. C’est une nouvelle initiative de la France. Le Président de la République a proposé à nos partenaires européens et à un certain nombre de partenaires extra-européens des sanctions efficaces, qui portent sur le gel des avoirs de la banque centrale et sur les exportations pétrolières de l’Iran. Le Congrès américain les a votées, le président des États-Unis les a ratifiées et les Européens se sont mis d'accord à la fin du mois de janvier lors d’un conseil des ministres des affaires étrangères.

Certes, ces sanctions peuvent être douloureuses pour le peuple iranien. Mais je crois que c’est la seule manière pour nous de faire plier ce régime et de le ramener à la table des négociations, afin d’éviter la tentation militaire.

Je voudrais enfin rappeler que le régime est de nature répressive. Vous avez parlé tout à l’heure de l’organisation des élections. J’espère qu’elles ne se passeront pas dans les mêmes conditions que les précédentes ; les deux leaders de l’opposition sont en résidence surveillée dans des conditions qu’il est fort difficile d’apprécier !

J’en viens à l’Afghanistan, qui mérite, je le crois, des développements plus approfondis. C’est une priorité importante de notre action.

C’est bien sûr avec une très grande émotion que, comme chacune et chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons appris la mort de quatre de nos soldats le 20 janvier dernier. Ils ne sont pas morts au combat. Ils ont été assassinés – c’est le terme qui convient – dans un camp pendant l’entraînement par un taliban déguisé en soldat afghan.

Le Président de la République et le Gouvernement ont immédiatement tiré les conséquences d’une telle attaque. Après s’être entretenu avec le président afghan en visite à Paris, le chef de l’État a pris des décisions importantes.

Afin de répondre aux infiltrations de talibans dans l’armée afghane, nous avons obtenu des engagements précis du président Karzaï sur la modification des conditions de recrutement et d’exécution de notre mission de formation.

Parallèlement, le transfert graduel des responsabilités de combat permettra de planifier le retour de la totalité de nos forces combattantes dès la fin de l’année 2013.

À cet égard, je veux être tout à fait clair. Le retrait a déjà commencé. Ainsi, 400 soldats sont déjà rentrés en France l’an dernier ou au début de cette année. D’ici à la fin de cette année, compte tenu des progrès de la transition, ce sont 1 000 soldats supplémentaires qui quitteront l’Afghanistan. Ce retrait correspond bien au schéma arrêté à Lisbonne au mois de novembre 2010, c'est-à-dire la transition et le transfert à l’armée afghane de la sécurité des régions, lorsqu’elle est en mesure d’assumer ses responsabilités. Cela a déjà été fait pour la Surobi. C'est la raison pour laquelle nous avons déjà retiré 400 hommes qui seront bientôt suivis par 400 autres.

Nous avons obtenu du président Karzaï l’assurance que l’ensemble de la région de la Kapisa figurerait dans la troisième vague de régions en transition, ce qui nous permettra d’achever le retour de nos forces combattantes à la fin de l’année 2013.

C’est donc un retrait ordonné, en parfaite cohérence avec ce que nous avions annoncé en 2010 et en 2011. Il s’inscrit dans le cadre de la stratégie de transition. Le président Karzaï s’est engagé sur ce point de manière très claire.

Nous avons aussi souhaité mobiliser l’Alliance atlantique. J’en viens ainsi à la deuxième question de M. Boulaud. La réflexion s’est engagée entre les Alliés sur une prise en charge des missions de combat de l’OTAN par l’armée afghane au cours de l’année 2013. Nous avons aussi demandé à l’OTAN une réflexion collective sur des mesures de sécurité. Quand M. Hue affirme que nous nous sommes alignés sur les États-Unis, c’est évidemment une inexactitude totale. Nous avons notre propre marge d’initiative. Naturellement, nous agissons en concertation avec nos alliés.

Plus généralement, notre stratégie de transition se fonde sur une action politique, qui repose elle-même sur trois piliers.

Le premier pilier concerne la reconstruction et le développement du pays. Je rassure M. de Montesquiou : nous avons déjà construit des écoles des routes et aménagé des hôpitaux.

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