Je vous remercie, monsieur le président de la commission.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi du sénateur Couderc, qui vise à sanctionner pénalement les insultes faites aux membres de formations supplétives des forces armées.
Nous avons tous été extrêmement choqués – et comment ne pas l’être ? – par les injures proférées par un homme politique français traitant les harkis de « sous-hommes » en 2006. Cet épisode, indigne de notre vie publique, a mis en lumière une lacune de notre droit.
À l’heure actuelle, en effet, les harkis, et plus généralement l’ensemble des anciens supplétifs de l’armée française, ne sont pas suffisamment protégés contre les injures dont ils pourraient être victimes. C’est une situation injuste, et c’est l’honneur de notre Parlement que d’y remédier enfin.
S’agissant plus spécifiquement des harkis, une première pierre avait été posée par la loi Mekachera du 23 février 2005, qui dispose que « sont interdites : toute injure ou diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki [...] ». Je profite d’ailleurs de cette occasion pour souligner que l’article 5 de la loi précitée était parfaitement conforme à la Constitution, comme en témoigne la décision du Conseil d’État en date du 26 janvier dernier. Néanmoins, l’interdiction n’était assortie, dans la loi, d’aucune sanction pénale ; il fallait donc y remédier.
Aussi le sénateur Couderc a-t-il souhaité, dans un premier temps, « compléter » la loi de 2005. Mais si nous comprenons naturellement ce qui a motivé sa démarche, nous ne souhaitions pas nous y associer en l’état, car son initiative risquait notamment, sans bien entendu que M. Couderc en ait eu la moindre intention à l’époque du dépôt de sa proposition de loi, d’exclure du manteau protecteur de la loi d’autres victimes potentielles parmi les anciens supplétifs des forces armées. Il convenait donc de revenir sur la rédaction de cette proposition de loi, afin de la rendre plus efficace. C’est la raison pour laquelle nous avons apporté notre soutien entier à l’amendement tendant à réécrire l’article unique : il s’agissait, en effet, de protéger tous les anciens supplétifs de l’armée française.
Cette nouvelle rédaction permet d’étendre le champ de protection de la loi de 1881 à l’ensemble des anciens membres de formations supplétives d’Algérie : les harkis, les moghaznis, les makhzens, les groupes mobiles de protection rurale, les groupes mobiles de sécurité ou des groupes d’autodéfense. Par ailleurs, ne l’oublions pas, des formations supplétives ont servi dans les forces françaises lors d’autres conflits, comme les H’Mongs et les Moïs en Indochine. Il existe donc plusieurs catégories de supplétifs. Aussi ce texte vise-t-il – et c’est ce qui lui donne toute sa force – l’ensemble des forces supplétives qui ont servi dans l’armée française, ce qui englobe bien entendu les harkis.
La proposition de loi du sénateur Couderc, que je salue, consiste donc à aligner, à juste titre selon le Gouvernement, la protection juridique des personnes qui se sont engagées en faveur de la France lors d’un conflit armé, notamment ceux qui ont servi dans les formations supplétives, sur la protection dont bénéficient toutes les forces armées.
L’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur de la proposition de loi Élie Aboud, a confirmé l’esprit de ce texte en l’extrayant de la loi de 2005 pour en faire une loi autonome, à laquelle nous sommes tout à fait favorables. Cette loi traduira toute l’importance que nous accordons aux anciens membres des formations supplétives et participera de l’hommage que notre nation rend à ceux qui se sont battus pour elle. Elle est l’expression du respect que nous leur devons à tous, sans introduire entre eux de distinction ni de hiérarchie.
Ce n’est ni le lieu ni le jour de dresser un catalogue des dispositifs mis en œuvre ces dernières années, mais il convient tout de même de souligner que le Président de la République a eu à cœur de développer les prestations dévolues aux anciens supplétifs et à leurs enfants, qu’il s’agisse des conventions d’emploi, des aides à la mobilité et à la création d’entreprise, des dispositifs d’accès à la fonction publique d’État, hospitalière ou territoriale, des bourses scolaires et universitaires, ou encore des allocations pour les orphelins d’anciens supplétifs de l’armée française, pour ne citer que celles-ci.
Ces nouveaux dispositifs, voulus par le Président de la République, ont permis d’améliorer le quotidien des anciens supplétifs et de leurs enfants, même si les efforts devront être poursuivis.
La proposition de loi du sénateur Couderc contribue également à rendre leur dignité aux supplétifs de nos armées, notamment aux harkis qui ont récemment eu à souffrir d’injures inqualifiables.
C’est pourquoi cette initiative vous honore : elle nous rappelle à notre devoir de protéger ces hommes et ces femmes auxquels nous lie un passé à la fois glorieux et douloureux, et qui sont parfois vulnérables en raison même de ce passé.
Aussi donnerons-nous un avis favorable à la version du texte qui vous est aujourd’hui présentée et qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 20 février dernier. J’espère que celui-ci fera l’objet d’une adoption conforme. Ainsi, la reconnaissance que nous devons aux anciens membres de formations supplétives ne pourra plus être impunément entachée d’injures, qui sont autant d’attaques envers notre mémoire collective. De cette façon, Gouvernement et Parlement, de manière consensuelle, pourront être fiers d’avoir fait voter et d’avoir voté cette loi. §