Intervention de Robert Badinter

Réunion du 26 juin 2007 à 16h00
Protocoles relatifs à l'abolition de la peine de mort — Adoption de deux projets de loi

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Madame la secrétaire d'État, je vous souhaite tout d'abord la bienvenue et un heureux exercice ministériel dans vos fonctions si importantes au service de cette cause essentielle qu'est la défense des droits de l'homme. Dans la législature à venir, j'en suis convaincu, hélas ! la matière ne fera pas défaut.

Chacun le comprendra, en cet instant, je tiens à dégager la signification du vote qui va intervenir, car il s'agit de l'aboutissement non seulement pour moi, mais aussi pour un certain nombre d'autres membres de cette maison, d'une très longue marche en France au service de l'abolition de la peine de mort.

Je le rappelle, c'est à la Haute Assemblée, le 30 septembre 1981, qu'a été définitivement votée l'abolition de la peine de mort en France. À cet égard, comme je tiens toujours à le faire, j'évoquerai le souvenir du président François Mitterrand et soulignerai la reconnaissance que nous lui devons. Sans son courage politique, j'ignore à quelle date l'abolition serait intervenue. Ai-je besoin de le rappeler à la Haute Assemblée, la décision qu'elle a prise ce jour-là se heurtait à une opinion publique largement défavorable à l'abolition. Les temps ont radicalement changé !

Puis il y eut un deuxième temps, d'une portée effective juridique considérable, bien que passé quasiment inaperçu, sauf chez les initiés : la ratification, par le Parlement français, du protocole n° 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales concernant l'abolition de la peine de mort ; votée le 31 décembre 1985, elle constitua à la fois le dernier acte de la législature et la dernière occasion pour moi d'intervenir comme ministre devant le Parlement.

La portée du texte était en réalité très claire : celui-ci interdisait à tous les États le ratifiant de rétablir la peine de mort. Certes, une possibilité de dénonciation par le Président de la République était prévue, mais chacun avait bien conscience que, dans l'Europe telle qu'elle est, où la France se doit d'être la patrie des droits de l'homme, la dénonciation d'une convention s'intégrant dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales était politiquement impossible.

Par conséquent, l'irréversibilité de l'abolition a été acquise dès cette date. Nous sommes allés plus loin et le mouvement international s'est évidemment poursuivi à un rythme soutenu, le nombre des États abolitionnistes ne cessant de croître. Je le rappelle, sur environ 200 États qui composent actuellement les Nations unies, 133 sont abolitionnistes, alors que, en 1981, la France fut le trente-cinquième État à abolir la peine de mort. C'est dire l'importance des progrès réalisés au service de cette cause dans les vingt-cinq dernières années.

Le mouvement international a été marqué par l'élaboration, la signature puis la ratification de conventions internationales interdisant le recours à la peine de mort. La Haute Assemblée est aujourd'hui saisie de deux projets de loi que la France n'avait pas pu approuver jusqu'à ce jour en raison, notamment, pour l'un d'entre eux, de l'exigence de modification de sa Constitution.

Mes chers collègues, c'est à cette révision constitutionnelle que le Parlement, réuni en Congrès, a procédé au mois de février dernier, sur l'initiative du président Jacques Chirac, lequel, je le rappelle, avait voté l'abolition en 1981.

Cela permet l'approbation des deux instruments dont l'économie vient de vous être présentée, à savoir, d'une part, la ratification du protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, et, d'autre part, l'adhésion au deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Dès lors, la situation sera claire : par la constitutionnalisation, l'abolition de la peine de mort est devenue pure et simple ; par l'approbation de ces deux textes internationaux, qui nous lieront dans toutes les circonstances et pour tous les cas où la peine de mort a été jadis prononcée, l'abolition deviendra irréversible.

Ce faisant, le voeu du plus grand des abolitionnistes français, sénateur de surcroît, Victor Hugo, se trouvera réalisé, lui qui proclamait en 1848, lors du grand débat sur l'abolition de la peine de mort en matière politique : « Je vote l'abolition pure, simple et définitive de la peine de mort. »

Pour autant, je ferai simplement remarquer que, pour la France, la tâche n'est pas finie, pas plus d'ailleurs que pour l'ensemble des États de l'Union européenne et les autres pays européens. La Russie, même si elle pratique une abolition de fait, n'a pas encore aboli la peine de mort, et cette dernière sévit encore ailleurs.

Madame la secrétaire d'État, si j'ai voulu intervenir aujourd'hui, c'est aussi parce que je suis convaincu qu'il appartient à la France d'oeuvrer fermement et sans délai en faveur des infirmières Bulgares et du médecin Palestinien. Sur ce sujet, je sais que le Gouvernement que vous représentez partage mon souhait. Ces personnes sont en effet les victimes, il n'y a pas d'autres mots, d'une véritable prise d'otages judiciaire et elles ont été condamnées à mort dans des conditions ignominieuses pour quiconque a le sens de la justice.

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